Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/336

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

POIRET (tout à fait fasciné par la fixité du regard de Bixiou).

La langue française !… l’Académie !…

BIXIOU (il coupe un second bouton et ressaisit le bouton supérieur).

Oui, dans l’intérêt de notre belle langue, on doit faire observer que si le chef de bureau peut à la rigueur être encore un employé, le chef de division doit être un bureaucrate. Ces messieurs… (Il se tourne vers les employés en leur montrant le second bouton coupé à la redingote de Poiret.) ces messieurs apprécieront cette nuance pleine de délicatesse. Ainsi, papa Poiret, l’employé finit exclusivement au chef de division. Voici donc la question bien posée, il n’existe plus aucune incertitude, l’employé qui pouvait paraître indéfinissable est défini.

POIRET.

Cela me semble hors de doute.

BIXIOU.

Néanmoins, faites-moi l’amitié de résoudre cette question : Un juge étant inamovible, conséquemment ne pouvant être, selon votre subtile distinction, un fonctionnaire, et n’ayant pas un traitement en harmonie avec son ouvrage, doit-il être compris dans la classe des employés ?…

POIRET (il regarde les corniches).

Monsieur, je n’y suis plus…

BIXIOU (il coupe un troisième bouton).

Je voulais vous prouver, monsieur, que rien n’est simple, mais surtout, et ce que je vais dire est pour les philosophes (si vous voulez me permettre de retourner un mot de Louis XVIII), je veux faire voir que : À côté du besoin de définir, se trouve le danger de s’embrouiller.

POIRET (s’essuie le front).

Pardon, monsieur, j’ai mal au cœur… (Il veut croiser sa redingote.) Ah ! vous m’avez coupé tous mes boutons !

BIXIOU.

Eh ! bien, comprenez-vous ?…

POIRET (mécontent).

Oui, monsieur… Oui, je comprends que vous avez voulu faire une très-mauvaise farce, en me coupant mes boutons, sans que je m’en aperçusse !…