Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/42

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ayant une jolie écriture anglaise, sachant le français et l’orthographe, enfin une complète éducation bourgeoise. Elle était assez impatiente d’être mariée, afin de quitter la maison paternelle, où elle s’ennuyait comme un officier de marine au quart de nuit, il faut dire aussi que le quart durait toute la journée. Desroches ou Cochin fils, un notaire ou un garde-du-corps, un faux lord anglais, tout mari lui était bon. Comme évidemment elle ne savait rien de la vie, j’en ai eu pitié, j’ai voulu lui en révéler le grand mystère. Bah ! les Matifat m’ont fermé leur porte : les bourgeois et moi nous ne nous comprendrons jamais.

— Elle a épousé le général Gouraud, dit Finot.

— En quarante-huit heures, Godefroid de Beaudenord, l’ex-diplomate, devina les Matifat et leur intrigante corruption, reprit Bixiou. Par hasard, Rastignac se trouvait chez la légère baronne à causer au coin du feu pendant que Godefroid faisait son rapport à Malvina. Quelques mots frappèrent son oreille, il devina de quoi il s’agissait, surtout à l’air aigrement satisfait de Malvina. Rastignac resta, lui, jusqu’à deux heures de matin, et l’on dit qu’il est égoïste ! Beaudenord partit quand la baronne alla se coucher. « Chère enfant, dit Rastignac à Malvina d’un ton bonhomme et paternel quand ils furent seuls, souvenez-vous qu’un pauvre garçon lourd de sommeil a pris du thé pour rester éveillé jusqu’à deux heures du matin, afin de pouvoir vous dire solennellement : Mariez-vous. Ne faites pas la difficile, ne vous occupez pas de vos sentiments, ne pensez pas à l’ignoble calcul des hommes qui ont un pied ici, un pied chez les Matifat, ne réfléchissez à rien : mariez-vous ! Pour une fille, se marier, c’est s’imposer à un homme qui prend l’engagement de la faire vivre dans une position plus ou moins heureuse, mais où la question matérielle est assurée. Je connais le monde : jeunes filles, mamans et grand’mères sont toutes hypocrites en démanchant sur le sentiment quand il s’agit de mariage. Aucun ne pense à autre chose qu’à un bel état. Quand sa fille est bien mariée, une mère dit qu’elle a fait une excellente affaire. » Et Rastignac lui développa sa théorie sur le mariage, qui, selon lui, est une société de commerce instituée pour supporter la vie. « Je ne vous demande point votre secret, dit-il en terminant à Malvina, je le sais. Les hommes se disent tout entre eux, comme vous autres quand vous sortez après le dîner. Eh ! bien, voici mon dernier mot : mariez-vous. Si vous ne vous mariez pas, souvenez-vous que