Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/523

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Ch’aurais manché pien tes tinners afant te nommer eine guisinière Acie.

— C’est notre état d’être drôles, dit Esther. Voyons, une pauvre fille ne peut donc pas se faire nourrir par l’Asie et habiller par l’Europe, quand vous, vous vivez de tout le monde ? C’est un mythe, quoi ! Il y a des femmes qui mangeraient la terre, il ne m’en faut que la moitié. Voilà !

Quelle phâme que montame Saind-Esdèfe ! se dit le baron en admirant le subit changement des façons d’Esther.

— Europe, ma fille, il me faut un chapeau, dit Esther. Je dois avoir une capote de satin noir doublée de rose, garnie en dentelles.

— Madame Thomas ne l’a pas envoyée… Allons, baron, vite ! haut la patte ! commencez votre service d’homme de peine, c’est-à-dire d’homme heureux ! Le bonheur est lourd !… Vous avez votre cabriolet, allez chez madame Thomas, dit Europe au baron. Vous ferez demander par votre domestique la capote de madame Van-Bogseck… Et surtout, lui dit-elle à l’oreille, rapportez-lui le plus beau bouquet qu’il y ait à Paris. Nous sommes en hiver, tâchez d’avoir des fleurs des Tropiques.

Le baron descendit et dit à ses domestiques : — Ghez montame Domas. Le domestique mena son maître chez une fameuse pâtissière. — C’edde ein margeante de motes, vichi pedâte, ed non te cateaux, dit le baron qui courut au Palais-Royal chez madame Prévôt, où il fit composer un bouquet de dix louis, pendant que son domestique allait chez la fameuse marchande de modes.

En se promenant dans Paris, l’observateur superficiel se demande quels sont les fous qui viennent acheter les fleurs fabuleuses qui parent la boutique de l’illustre bouquetière et les primeurs de l’européen Chevet, le seul, avec le Rocher-de-Cancale, qui offre une véritable et délicieuse Revue des Deux-Mondes… Il s’élève tous les jours, à Paris, cent et quelques passions à la Nucingen, qui se prouvent par des raretés que les reines n’osent pas se donner, et qu’on offre, et à genoux, à des filles qui, selon le mot d’Asie, aiment à flamber. Sans ce petit détail, une honnête bourgeoise ne comprendrait pas comment une fortune se fond entre les mains de ces créatures ; après tout, leur fonction sociale, dans le système fouriériste, est peut-être de réparer les malheurs de l’Avarice et de la Cupidité ; leurs dissipations sont sans doute au Corps Social ce qu’un