Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/537

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que de laisser échapper un mouvement de sourcils. Clotilde venait d’arborer un petit mouchoir rose à son cou de cigogne, la partie était donc gagnée à l’hôtel de Grandlieu. Les actions des Omnibus donnaient déjà trois capitaux pour un. Carlos, en disparaissant pour quelques jours, déjouait toute malveillance. La prudence humaine avait tout prévu, pas une faute n’était possible. Le faux Espagnol devait partir le lendemain du jour où Peyrade avait rencontré madame du Val-Noble aux Champs-Élysées. Or, dans la nuit même, à deux heures du matin, Asie arriva quai Malaquais en fiacre, et trouva le chauffeur de cette machine fumant dans sa chambre, et se livrant au résumé qui vient d’être traduit en quelques mots, comme un auteur épluchant une feuille de son livre pour y découvrir des fautes à corriger. Un pareil homme ne voulait pas commettre deux fois un oubli comme celui du portier de la rue Taitbout.

— Paccard, dit Asie à l’oreille de son maître, a reconnu ce matin, à deux heures et demie, aux Champs-Elysées, Contenson déguisé en mulâtre et servant de domestique à un Anglais qui, depuis trois jours, se promène aux Champs-Élysées pour observer Esther. Paccard a reconnu ce mâtin-là, comme moi quand il était porteur de la Halle, aux yeux. Paccard a ramené la petite de manière à ne pas perdre de vue notre drôle. Il est à l’hôtel Mirabeau ; mais il a échangé de tels signes d’intelligence avec l’Anglais, qu’il est impossible, dit Paccard, que l’Anglais soit un Anglais.

— Nous avons un taon sur le dos, dit Carlos. Je ne pars qu’après-demain. Ce Contenson est bien celui qui nous a lancé jusqu’ici le portier de la rue Taitbout ; il faut savoir si le faux Anglais est notre ennemi.

À midi, le mulâtre de monsieur Samuel Johnson servait gravement son maître, qui déjeunait toujours trop bien, par calcul. Peyrade voulait se faire passer pour un Anglais du genre Buveur ; il ne sortait jamais qu’entre deux vins. Il avait des guêtres en drap noir qui lui montaient jusqu’aux genoux et rembourrées de manière à lui grossir les jambes ; son pantalon était doublé d’une futaine énorme ; il avait un gilet boutonné jusqu’au menton ; sa cravate bleue lui entourait le cou jusqu’à fleur des joues ; il portait une petite perruque rousse qui lui cachait la moitié du front ; il s’était donné trois pouces de plus environ ; en sorte que le plus ancien habitué du café David n’aurait pu le reconnaître. À son