Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/544

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— Qui ? s’écria Peyrade dont l’accent eut une vibration métallique, j’emploie mes derniers jours à le mettre sur un gril et à l’y retourner.

— C’est l’abbé Carlos Herrera, probablement le Corentin de l’Espagne. Tout s’explique. L’Espagnol est un débauché qui a voulu faire la fortune de ce petit jeune homme en battant monnaie avec le traversin d’une jolie fille… C’est à toi de savoir si tu veux jouter avec un abbé qui me paraît diablement roué.

— Oh ! cria Contenson, il a reçu les trois cent mille francs le jour de l’arrestation d’Esther, il était dans le fiacre ! je me souviens de ces yeux-là, de ce front, de ces marques de petite-vérole.

— Ah ! quelle dot aurait eue ma pauvre Lydie ! s’écria Peyrade.

— Tu peux rester en nabab, dit Corentin. Pour avoir un œil chez Esther, il faut la lier avec la Val-Noble, elle était la vraie maîtresse de Lucien de Rubempré.

— On a déjà chipé plus de cinq cent mille francs au Nucingen, dit Contenson.

— Il leur en faut encore autant, reprit Corentin, la terre de Rubempré coûte un million. Papa, dit-il en frappant sur l’épaule de Peyrade, tu pourras avoir plus de cent mille francs pour marier Lydie.

— Ne me dis pas cela, Corentin. Si ton plan manquait, je ne sais pas de quoi je serais capable…

— Tu les auras peut-être demain ! L’abbé, mon cher, est bien fin, nous devons baiser son ergot, c’est un diable supérieur ; mais je le tiens, il est homme d’esprit, il capitulera. Tâche d’être aussi bête qu’un nabab, et ne crains plus rien.

Le soir de cette journée où les véritables adversaires s’étaient rencontrés face à face et sur un terrain aplani, Lucien alla passer la soirée à l’hôtel de Grandlieu. La compagnie y était nombreuse. À la face de tout son salon, la duchesse garda pendant quelque temps Lucien auprès d’elle, en se montrant excellente pour lui.

— Vous êtes allé faire un petit voyage ? lui dit-elle.

— Oui, madame la duchesse. Ma sœur, dans le désir de faciliter mon mariage, a fait de grands sacrifices, et j’ai pu acquérir la terre de Rubempré, la recomposer en entier. Mais j’ai trouvé dans mon avoué de Paris un homme habile, il a su m’éviter les prétentions que les détenteurs des biens auraient élevées en sachant le nom de l’acquéreur.