Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/564

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— Nucingen lui a pris la parole sur le gouvernement, dit du Tillet à Blondet.

— Ah ! vous avez fait le commerce de l’opium, s’écria madame de Val-Noble, je comprends maintenant pourquoi vous êtes si stupéfiant, il vous en est resté dans le cœur…

Foyez ! cria le baron au soi-disant marchand d’opium et lui montrant madame de Val-Noble, fus êdes gomme moi : chamais les milionaires ne beufent se vaire amer tes phâmes.

Ie aimé bocop et sôvent, milédi, répondit Peyrade.

— Toujours à cause de la tempérance, dit Bixiou qui venait d’entonner à Peyrade sa troisième bouteille de vin de Bordeaux, et qui lui fit entamer une bouteille de vin de Porto.

Ô ! s’écria Peyrade, it is very vine de Pôrtiugal of Engleterre.

Blondet, du Tillet et Bixiou échangèrent un sourire. Peyrade avait la puissance de tout travestir en lui, même l’esprit. Il y a peu d’Anglais qui ne vous soutiennent que l’or et l’argent sont meilleurs en Angleterre que partout ailleurs. Les poulets et les œufs venant de Normandie et envoyés au marché de Londres autorisent les Anglais à soutenir que les poulets et les œufs de Londres sont supérieurs (very fines) à ceux de Paris qui viennent des mêmes pays. Esther et Lucien restèrent stupéfaits devant cette perfection de costume, de langage et d’audace. On buvait, on mangeait, tant et si bien en causant et en riant, qu’on atteignit à quatre heures du matin. Bixiou crut avoir remporté l’une de ces victoires si plaisamment racontées par Brillat-Savarin. Mais, au moment où il se disait en offrant à boire à son oncle : « J’ai vaincu l’Angleterre !… » Peyrade répondit à ce féroce railleur un : — Toujours, mon garçon ! qui ne fut entendu que de Bixiou.

— Eh ! les autres, il est Anglais comme moi !… Mon oncle est un Gascon ! je ne pouvais pas en avoir d’autre !

Bixiou se trouvait seul avec Peyrade, ainsi personne n’entendit cette révélation. Peyrade tomba de sa chaise à terre. Aussitôt Paccard s’empara de Peyrade et le monta dans une mansarde où il s’endormit d’un profond sommeil. À six heures du soir, le Nabab se sentit réveiller par l’application d’un linge mouillé avec lequel on le débarbouillait, et il se trouva sur un mauvais lit de sangle, face à face, avec Asie masquée et en domino noir.

— Ah ! ça, papa Peyrade, comptons nous deux ? dit-elle.