Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/576

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la vérité sur la succession Séchard, et nous la savons… Derville prit madame Ève par la main, et l’emmena très courtoisement au bout du salon. — Madame, lui dit-il à voix basse, si l’honneur et l’avenir de la maison de Grandlieu n’étaient intéressés dans cette question, je ne me serais pas prêté à ce stratagème inventé par ce monsieur décoré ; mais vous l’excuserez, il s’agissait de découvrir le mensonge à l’aide duquel monsieur votre frère a surpris la religion de cette noble famille. Gardez-vous bien maintenant de laisser croire que vous avez donné douze cent mille francs à monsieur votre frère pour acheter la terre de Rubempré…

— Douze cent mille francs ! s’écria madame Séchard en pâlissant. Et où les a-t-il pris, lui, le malheureux ?…

— Ah ! voilà, dit Derville, j’ai peur que la source de cette fortune ne soit bien impure.

Ève eut des larmes aux yeux que ses voisins aperçurent.

— Nous vous avons rendu peut-être un grand service, lui dit Derville, en vous empêchant de tremper dans un mensonge dont les suites peuvent être très dangereuses.

Derville laissa madame Séchard assise, pâle, des larmes sur les joues, et salua la compagnie.

— À Mansle ! dit Corentin au petit garçon qui conduisait le cabriolet.

La diligence allant de Bordeaux à Paris, qui passa dans la nuit, eut une place ; Derville pria Corentin de le laisser en profiter, en objectant ses affaires ; mais, au fond, il se défiait de son compagnon de voyage, dont la dextérité diplomatique et le sang-froid lui parurent être de l’habitude. Corentin resta trois jours à Mansle sans trouver d’occasion pour partir ; il fut obligé d’écrire à Bordeaux et d’y retenir une place pour Paris, où il ne put revenir que neuf jours après son départ.

Pendant ce temps-là, Peyrade allait tous les matins, soit à Passy, soit à Paris, chez Corentin, savoir s’il était revenu. Le huitième jour, il laissa, dans l’un et l’autre domicile, une lettre écrite en chiffres à eux, pour expliquer à son ami le genre de mort dont il était menacé, l’enlèvement de Lydie et l’affreuse destinée à laquelle ses ennemis le vouaient. Attaqué comme jusqu’alors il avait attaqué les autres, Peyrade, privé de Corentin, mais aidé par Contenson, n’en resta pas moins sous son costume de Nabab. Encore que ses invisibles ennemis l’eussent découvert, il pensait