Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/580

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pas retarder le mulâtre, et il se pencha vers son maître au moment où Peyrade replaçait son verre vide sur la table.

— Lydie est à la maison, dit Contenson, et dans un bien triste état.

Peyrade lâcha le plus français des jurons français avec un accent méridional si prononcé que le plus profond étonnement parut sur la figure de tous les convives. En s’apercevant de sa faute, Peyrade avoua son déguisement en disant à Contenson en bon français : — Trouve un fiacre !… je fiche le camp.

Tout le monde se leva de table.

— Qui donc êtes-vous ? s’écria Lucien.

Ui !… dit le baron.

— Bixiou m’avait soutenu que vous saviez faire l’Anglais mieux que lui, et je ne voulais pas le croire, dit Rastignac.

— C’est quelque banqueroutier découvert, dit du Tillet à haute voix, je m’en doutais !…

— Quel singulier pays que Paris !… dit madame du Val-Noble. Après avoir fait faillite dans son quartier, un marchand y reparaît en nabab ou en dandy aux Champs-Élysées impunément !… Oh ! j’ai du malheur, la faillite est mon insecte.

— On dit que toutes les fleurs ont le leur, dit tranquillement Esther, le mien ressemble à celui de Cléopâtre, un aspic.

— Ce que je suis !… dit Peyrade à la porte. Ah ! vous le saurez, car, si je meurs, je sortirai de mon tombeau pour vous venir tirer par les pieds pendant toutes les nuits !…

En disant ces derniers mots, il regardait Esther et Lucien ; puis il profita de l’étonnement général pour disparaître avec une excessive agilité, car il voulut courir chez lui sans attendre le fiacre. Dans la rue, Asie, enveloppée d’une coiffe noire comme en portaient alors les femmes pour sortir du bal, arrêta l’espion par le bras, au seuil de la porte cochère.

— Envoie chercher les sacrements, papa Peyrade, lui dit-elle de cette voix qui déjà lui avait prophétisé le malheur.

Une voiture était là, Asie y monta, la voiture disparut comme emportée par le vent. Il y avait cinq voitures, les hommes de Peyrade ne purent rien savoir.

En arrivant à sa maison de campagne dans une des places les plus retirées et les plus riantes de la petite ville de Passy, rue des Vignes, Corentin, qui passait pour un négociant dévoré par la pas-