Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/182

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pouvez tout, et que nous sommes presque frères, ayant joué pendant notre enfance ensemble, je compte que vous me lancerez et que vous me protégerez… Oh ! il le faut, je veux une place, une place qui convienne à mes moyens, à ce que je suis, et où je puisse faire fortune…. » Massol allait brutalement mettre son pays à la porte en lui jetant au nez quelque phrase brutale, lorsque le pays conclut ainsi : « — Je ne demande donc pas à entrer dans l’administration où l’on va comme des tortues, que votre cousin est resté contrôleur ambulant depuis vingt ans… Non, je voudrais seulement débuter… — Au théâtre ?… lui dit Massol heureux de ce dénouement. — Non, j’ai bien du geste, de la figure, de la mémoire ; mais il y a trop de tirage ; je voudrais débuter dans la carrière… des portiers. » Massol resta grave et lui dit : — Il y aura bien plus de tirage, mais du moins vous verrez les loges pleines. Et il lui fit obtenir, comme dit Ravenouillet, son premier cordon.

— Je suis le premier, dit Léon qui me sois préoccupé du Genre Portier. Il y a des fripons de moralité, des bateleurs de vanité, des sycophantes modernes, des septembriseurs caparaçonnés de gravité, des inventeurs de questions palpitantes d’actualité qui prêchent l’émancipation des nègres, l’amélioration des petits voleurs, la bienfaisance envers les forçats libérés, et qui laissent leurs portiers dans un état pire que celui des Irlandais, dans des prisons plus affreuses que des cabanons, et qui leur donnent pour vivre moins d’argent par an que l’État n’en donne pour un forçat… Je n’ai fait qu’une bonne action dans ma vie, c’est la loge de mon portier.

— Si, reprit Bixiou, un homme ayant bâti de grandes cages, divisées en mille compartiments comme les alvéoles d’une ruche ou les loges d’une ménagerie, et destinées à recevoir des créatures de tout genre et de toute industrie, si cet animal à figure de propriétaire venait consulter un savant et lui disait : — Je veux un individu du genre Bimane qui puisse vivre dans une sentine pleine de vieux souliers, empestiférée par des haillons, et de dix pieds carrés ; je veux qu’il y vive toute sa vie, qu’il y couche, qu’il y soit heureux, qu’il ait des enfants jolis comme des amours ; qu’il y travaille, qu’il y fasse la cuisine, qu’il s’y promène, qu’il y cultive des fleurs qu’il y chante et qu’il n’en sorte pas, qu’il n’y voie pas clair et qu’il s’aperçoive de tout ce qui se passe au dehors, assurément le savant ne pourrait pas inventer le portier, il fallait Paris pour le créer, ou si vous voulez le diable…