Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/191

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l’on coiffe. Je ne me dissimule pas les déplaisirs de la pratique. (Regardez-vous,) Se faire coiffer, c’est fatigant, peut-être autant que de poser pour son portrait ; et, monsieur sait peut-être que le fameux monsieur de Humboldt (j’ai su tirer parti du peu de cheveux que l’Amérique lui a laissés. La Science a ce rapport avec le Sauvage qu’elle scalpe très-bien son homme), cet illustre savant a dit qu’après la douleur d’aller se faire pendre, il y avait celle d’aller se faire peindre ; mais, d’après quelques femmes, je place celle de se faire coiffer, avant celle de se faire peindre. Eh ! bien, monsieur, je veux qu’on vienne se faire coiffer par plaisir. (Vous avez un épi qu’il faut dompter.) Un Juif m’avait proposé des cantatrices italiennes qui, dans les entr’actes, auraient épilé les jeunes gens de quarante ans ; mais elles se sont trouvées être des jeunes filles du Conservatoire, des maîtresses de piano de la rue Montmartre. Vous voilà coiffé, monsieur, comme un homme de talent doit l’être. — Ossian, dit-il à son laquais en livrée, brossez et reconduisez monsieur. — À qui le tour ? ajouta-t-il avec orgueil en regardant les personnes qui attendaient.

— Ne ris pas, Gazonal, dit Léon à son cousin en atteignant au bas de l’escalier d’où son regard plongeait sur la place de la Bourse, j’aperçois là-bas un de nos grands hommes, et tu vas pouvoir en comparer le langage à celui de cet industriel, et tu me diras après l’avoir entendu, lequel des deux est le plus original.

— Ne ris pas, Gazonal, dit Bixiou qui répéta facétieusement l’intonation de Léon. De quoi croyez-vous Marius occupé ?

— De coiffer.

— Il a conquis, reprit Bixiou, le monopole de la vente des cheveux en gros, comme tel marchand de comestibles qui va nous vendre une terrine d’un écu s’est attribué celui de la vente des truffes ; il escompte le papier de son commerce, il prête sur gages à ses clientes dans l’embarras, il fait la rente viagère, il joue à la Bourse, il est actionnaire dans tous les journaux de Modes ; enfin il vend, sous le nom d’un pharmacien, une infâme drogue qui, pour sa part, lui donne trente mille francs de rentes, et qui coûte cent mille francs d’annonces par an.

— Est-ce possible ? s’écria Gazonal.

— Retenez ceci, dit gravement Bixiou. À Paris, il n’y a pas de petit commerce, tout s’y agrandit, depuis la vente des chiffons jusqu’à celle des allumettes. Le limonadier qui, la serviette sous