Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plaisir ? le poisson, le gibier, les céréales, la viande de boucherie, les douceurs, les légumes ou les fruits ?

— Le gibier.

— En quel mois êtes-vous né ?

— Septembre.

— Avancez votre main.

Madame Fontaine regarda fort attentivement les lignes de la main qui lui était présentée. Tout cela se fit sérieusement, sans préméditation de sorcellerie, et avec la simplicité qu’un notaire aurait mis à s’enquérir des intentions d’un client avant de rédiger un acte. Les cartes suffisamment mêlées, elle pria Gazonal de couper, et de faire lui-même trois paquets. Elle reprit les paquets, les étala l’un au-dessus de l’autre, les examina comme un joueur examine les trente-six numéros de la Roulette, avant de risquer sa mise. Gazonal avait les os gelés, il ne savait plus où il se trouvait ; mais son étonnement alla croissant lorsque cette affreuse vieille, à capote verte, grasse et plate, dont le faux tour laissait voir beaucoup plus de rubans noirs que de cheveux frisés en points d’interrogation, lui débita de sa voix chargée de pituite toutes les particularités, même les plus secrètes, de sa vie antérieure, lui raconta ses goûts, ses habitudes, son caractère, les idées mêmes de son enfance, tout ce qui pouvait avoir influé sur lui, son mariage manqué, pourquoi, avec qui, la description exacte de la femme qu’il avait aimée, et enfin de quel pays il était venu, son procès, etc.

Gazonal crut à une mystification préparée par son cousin ; mais l’absurdité de cette conspiration lui fut aussitôt démontrée que l’idée lui en vint, et il resta béant devant ce pouvoir vraiment infernal dont l’incarnation empruntait à l’humanité ce que de tout temps l’imagination des peintres et des poëtes a regardé comme la chose la plus épouvantable : une atroce petite vieille poussive, édentée, aux lèvres froides, au nez camard, aux yeux blancs. La prunelle de madame Fontaine s’était animée, il y passait un rayon jailli des profondeurs de l’avenir ou de l’enfer. Gazonal demanda machinalement en interrompant la vieille à quoi lui servaient le crapaud et la poule.

— À pouvoir prédire l’avenir. Le consultant jette lui-même des grains au hasard sur les cartes, Bilouche vient les becqueter ; Astaroth se traîne dessus pour aller chercher sa nourriture que