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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/224

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baye de Chelles. Auprès de ce ciboire, monument d’une royale magnificence, l’eau et le vin destinés au saint sacrifice étaient contenus dans deux verres à peine dignes du dernier cabaret. Faute de missel, le prêtre avait posé son bréviaire sur un coin de l’autel. Une assiette commune était préparée pour le lavement des mains innocentes et pures de sang. Tout était immense mais petit ; pauvre, mais noble ; profane et saint tout à la fois. L’inconnu vint pieusement s’agenouiller entre les deux religieuses. Mais tout à coup, en apercevant un crêpe au calice et au crucifix, car, n’ayant rien pour annoncer la destination de cette messe funèbre, le prêtre avait mis Dieu lui-même en deuil, il fut assailli d’un souvenir si puissant que des gouttes de sueur se formèrent sur son large front. Les quatre silencieux acteurs de cette scène se regardèrent alors mystérieusement ; puis leurs âmes, agissant à l’envi les unes sur les autres, se communiquèrent ainsi leurs sentiments et se confondirent dans une commisération religieuse, il semblait que leur pensée eût évoqué le martyr dont les restes avaient été dévorés par de la chaux vive, et que son ombre fût devant eux dans toute sa loyale majesté. Ils célébraient un obit sans le corps du défunt. Sous ces tuiles et ces lattes disjointes, quatre chrétiens allaient intercéder auprès de Dieu pour un Roi de France, et faire son convoi sans cercueil. C’était le plus pur de tous les dévouements, un acte étonnant de fidélité accompli sans arrière-pensée. Ce fut sans doute, aux yeux de Dieu, comme le verre d’eau qui balance les plus grandes vertus. Toute la Monarchie était là, dans les prières d’un prêtre et de deux pauvres filles ; mais peut-être aussi la Révolution était-elle représentée par cet homme dont la figure trahissait trop de remords pour ne pas croire qu’il accomplissait les vœux d’un immense repentir.

Au lieu de prononcer les paroles latines : « Introibo ad altare Dei, etc. » le prêtre, par une inspiration divine, regarda les trois assistants qui figuraient la France chrétienne, et leur dit, pour effacer les misères de ce taudis : — Nous allons entrer dans le sanctuaire de Dieu !

À ces paroles jetées avec une onction pénétrante, une sainte frayeur saisit l’assistant et les deux religieuses. Sous les voûtes de Saint-Pierre de Rome, Dieu ne se serait pas montré plus majestueux qu’il le fut alors dans cet asile de l’indigence aux yeux de ces chrétiens : tant il est vrai qu’entre l’homme et lui tout