Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/249

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— Si vous allez du côté de Cinq-Cygne, dit le régisseur à Violette, prenez-moi, j’y vais.

Violette était trop peureux pour garder en croupe un homme de la force de Michu ; il piqua des deux. Le Judas mit sa carabine sur l’épaule et s’élança dans l’avenue.

— À qui donc Michu en veut-il ? dit Marthe à sa mère.

— Depuis qu’il a su l’arrivée de monsieur Malin, il est devenu bien sombre, répondit-elle. Mais il fait humide, rentrons.

Quand les deux femmes furent assises sous le manteau de la cheminée, elles entendirent Couraut.

— Voilà mon mari ! s’écria Marthe.

En effet, Michu montait l’escalier ; sa femme inquiète le rejoignit dans leur chambre.

— Vois s’il n’y a personne, dit-il à Marthe d’une voix émue.

— Personne, répondit-elle, Marianne est aux champs avec la vache, et Gaucher…

— Où est Gaucher ? reprit-il.

— Je ne sais pas.

— Je me défie de ce petit drôle ; monte au grenier, fouille le grenier, et cherche-le dans les moindres coins de ce pavillon.

Marthe sortit et alla ; quand elle revint, elle trouva Michu, les genoux en terre, et priant.

— Qu’as-tu donc ? dit-elle effrayée.

Le régisseur prit sa femme par la taille, l’attira sur lui, la baisa au front et lui répondit d’une voix émue : — Si nous ne nous revoyons plus, sache, ma pauvre femme, que je t’aimais bien. Suis de point en point les instructions qui sont écrites dans une lettre enterrée au pied du mélèze de ce massif, dit-il après une pause en lui désignant un arbre, elle est dans un rouleau de fer-blanc. N’y touche qu’après ma mort. Enfin, quoi qu’il m’arrive, pense, malgré l’injustice des hommes, que mon bras a servi la justice de Dieu.

Marthe, qui pâlit par degrés, devint blanche comme son linge, elle regarda son mari d’un œil fixe et agrandi par l’effroi ; elle voulut parler, elle se trouva le gosier sec. Michu s’évada comme une ombre, il avait attaché au pied de son lit Couraut, qui se mit à hurler comme hurlent les chiens au désespoir.

La colère de Michu contre monsieur Marion avait eu de sérieux motifs, mais elle s’était reportée sur un homme beaucoup plus cri-