Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/35

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avait déjà tout préparé dans le cabinet, quand le magistrat allait flânant le long des quais, regardant les curiosités dans les boutiques, et se demandant en lui-même : — Comment s’y prendre avec un gaillard aussi fort que Jacques Collin, en supposant que ce soit lui ? Le chef de la sûreté le reconnaîtra, je dois avoir l’air de faire mon métier, ne fût-ce que pour la police ! Je vois tant d’impossibilités, que le mieux serait d’éclairer la marquise et la duchesse, en leur montrant les notes de la Police, et je vengerai mon père à qui Lucien a pris Coralie… En découvrant de si noirs scélérats, mon habileté sera proclamée, et Lucien sera bientôt renié par tous ses amis. Allons, l’interrogatoire en décidera.

Il entra chez un marchand de curiosités, attiré par une horloge de Boule.

— Ne pas mentir à ma conscience et servir les deux grandes dames, voilà un chef-d’œuvre d’habileté, pensait-il. — Tiens, vous aussi, monsieur le procureur-général, dit Camusot à haute voix, vous cherchez des médailles !

— C’est le goût de presque tous les justiciards, répondit en riant le comte de Grandville, à cause des revers.

Et, après avoir regardé la boutique pendant quelques instants comme s’il y achevait son examen, il emmena Camusot le long du quai, sans que Camusot pût croire à autre chose qu’à un hasard.

— Vous allez interroger ce matin monsieur de Rubempré, dit le procureur général. Pauvre jeune homme, je l’aimais…

— Il y a bien des charges contre lui, dit Camusot.

— Oui, j’ai vu les notes de la police ; mais elles sont dues, en partie, à un agent qui ne dépend pas de la préfecture, au fameux Corentin, un homme qui a fait couper le cou à plus d’innocents que vous n’enverrez de coupables à l’échafaud, et… Mais ce drôle est hors de notre portée. Sans vouloir influencer la conscience d’un magistrat tel que vous, je ne peux pas m’empêcher de vous faire observer que, si vous pouviez acquérir la conviction de l’ignorance de Lucien relativement au testament de cette fille, il en résulterait qu’il n’avait aucun intérêt à sa mort, car elle lui donnait prodigieusement d’argent !…

— Nous avons la certitude de son absence pendant l’empoisonnement de cette Esther, dit Camusot. Il guettait à Fontainebleau le passage de mademoiselle de Grandlieu et de la duchesse de Lenoncourt.