Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/365

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un oracle dont les avis devaient être suivis à la lettre, et le jeune de Grandville comme un défenseur en qui l’on pouvait avoir une entière confiance.

Laurence tendit la main au vieux marquis, et lui serra la sienne avec une vivacité qui le charma.

— Vous aviez raison, lui dit-elle.

— Voulez-vous maintenant écouter mes conseils ? demanda-t-il.

La jeune comtesse fit, ainsi que monsieur et madame d’Hauteserre, un signe d’assentiment.

— Eh ! bien, venez dans ma maison, elle est au centre de la ville près du tribunal ; vous et vos avocats, vous vous y trouverez mieux qu’ici où vous êtes entassés, et beaucoup trop loin du champ de bataille. Vous auriez la ville à traverser tous les jours.

Laurence accepta, le vieillard l’emmena ainsi que madame d’Hauteserre à sa maison, qui fut celle des défenseurs et des habitants de Cinq-Cygne tant que dura le procès. Après le dîner, les portes closes, Bordin se fit raconter exactement par Laurence les circonstances de l’affaire en la priant de n’omettre aucun détail, quoique déjà quelques-uns des faits antérieurs eussent été dits à Bordin et au jeune défenseur par le marquis durant leur voyage de Paris à Troyes. Bordin écouta, les pieds au feu, sans se donner la moindre importance. Le jeune avocat, lui, ne put s’empêcher de se partager entre son admiration pour madamoiselle de Cinq-Cygne et l’attention qu’il devait aux éléments de la cause.

— Est-ce bien tout ? demanda Bordin quand Laurence eut raconté les événements du drame tels que ce récit les a présentés jusqu’à présent.

— Oui, répondit-elle.

Le silence le plus profond régna pendant quelques instants dans le salon de l’hôtel de Chargebœuf où se passait cette scène, une des plus graves qui aient lieu durant la vie, et une des plus rares aussi. Tout procès est jugé par les avocats avant les juges, de même que la mort du malade est pressentie par les médecins, avant la lutte que les uns soutiendront avec la nature et les autres avec la justice. Laurence, monsieur et madame d’Hauteserre, le marquis avaient les yeux sur la vieille figure noire et profondément labourée par la petite vérole de ce vieux procureur qui allait prononcer des paroles de vie ou de mort. Monsieur d’Hauteserre