Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/389

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Michu regarda sa femme, et Marthe qui comprit son erreur tomba complètement évanouie. On peut dire sans exagération que la foudre éclatait sur le banc des accusés et sur leurs défenseurs.

— Je n’ai jamais écrit de ma prison à ma femme, et je n’y connais aucun des employés, dit Michu.

Bordin lui passa les fragments de la lettre, Michu n’eut qu’à y jeter un coup d’œil. — Mon écriture a été imitée, s’écria-t-il.

— La dénégation est votre dernière ressource, dit l’accusateur public.

On introduisit alors le sénateur avec les cérémonies prescrites pour sa réception. Son entrée fut un coup de théâtre. Malin, nommé par les magistrats comte de Gondreville sans pitié pour les anciens propriétaires de cette belle demeure, regarda, sur l’invitation du président, les accusés avec la plus grande attention et pendant long-temps. Il reconnut que les vêtements de ses ravisseurs étaient bien exactement ceux des gentilshommes ; mais il déclara que le trouble de ses sens au moment de son enlèvement l’empêchait de pouvoir affirmer que les accusés fussent les coupables.

— Il y a plus, dit-il, ma conviction est que ces quatre messieurs n’y sont pour rien. Les mains qui m’ont bandé les yeux dans la forêt étaient grossières. Aussi, dit Malin en regardant Michu, croirais-je plutôt volontiers que mon ancien régisseur s’est chargé de ce soin mais je prie messieurs les jurés de bien peser ma déposition. Mes soupçons à cet égard sont très légers, et je n’ai pas la moindre certitude. Voici pourquoi. Les deux hommes qui se sont emparés de moi m’ont mis à cheval, en croupe derrière celui qui m’avait bandé les yeux, et dont les cheveux étaient roux comme ceux de l’accusé Michu. Quelque singulière que soit mon observation, je dois en parler, car elle fait la base d’une conviction favorable à l’accusé, que je prie de ne point s’en choquer. Attaché au dos d’un inconnu, j’ai dû, malgré la rapidité de la course, être affecté de son odeur. Or, je n’ai point reconnu celle particulière à Michu. Quant à la personne qui m’a, par trois fois, apporté des vivres, je suis certain que cette personne est Marthe, la femme de Michu. La première fois, je l’ai reconnue à une bague que lui a donnée mademoiselle de Cinq-Cygne, et qu’elle n’avait pas songé à ôter. La justice et messieurs les jurés apprécieront les contradictions qui se rencontrent dans ces faits, et que je ne m’explique point encore.