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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/396

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Le marquis partit seul pour Troyes, et dit à Laurence l’état des choses. Laurence obtint du Procureur impérial la permission de voir Michu, et le marquis l’accompagna jusqu’à la porte de la prison, où il l’attendit. Elle sortit les yeux baignés de larmes.

— Le pauvre homme, dit-elle, a essayé de se mettre à mes genoux pour me prier de ne plus songer à lui, sans penser qu’il avait les fers aux pieds ! Ah ! marquis, je plaiderai sa cause. Oui, j’irai baiser la botte de leur empereur. Et si j’échoue, eh bien, cet homme vivra, par mes soins, éternellement dans notre famille. Présentez son pourvoi en grâce pour gagner du temps, je veux avoir son portrait. Partons.

Le lendemain, quand le ministre apprit par un signal convenu que Laurence était à son poste, il sonna, son huissier vint et reçut l’ordre de laisser entrer monsieur Corentin.

— Mon cher, vous êtes un habile homme, lui dit Talleyrand, et je veux vous employer.

— Monseigneur…

— Écoutez. En servant Fouché, vous aurez de l’argent et jamais d’honneur ni de position avouable ; mais en me servant toujours comme vous venez de le faire à Berlin, vous aurez de la considération.

— Monseigneur est bien bon…

— Vous avez déployé du génie dans votre dernière affaire à Gondreville…

— De quoi monseigneur parle-t-il ? dit Corentin en prenant un air ni trop froid ni trop surpris.

— Monsieur, répondit sèchement le ministre, vous n’arriverez à rien, vous craignez…

— Quoi, monseigneur ?

— La mort ! dit le ministre de sa belle voix profonde et creuse. Adieu, mon cher.

— C’est lui, dit le marquis de Chargebœuf en entrant ; nous avons failli tuer la comtesse, elle étouffe !

Il n’y a que lui capable de jouer de pareils tours, répondit le ministre. Monsieur, vous êtes en danger de ne pas réussir, reprit le prince. Prenez ostensiblement la route de Strasbourg, je vais vous envoyer en blanc de doubles passeports. Ayez des Sosies, changez de route habilement et surtout de voiture, laissez arrêter