Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/446

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ment blessé, assez d’esprit pour faire en lui-même des élégies pleines de fiel.

Inhabile à lutter contre les choses, ayant le sentiment des facultés supérieures, mais sans le vouloir qui les met en action, se sentant incomplet, sans force pour entreprendre une grande chose, comme sans résistance contre les goûts qu’il tenait de sa vie antérieure, de son éducation ou de son insouciance, il était dévoré par trois maladies, dont une seule suffit à dégoûter de l’existence un jeune homme déshabitué de la foi religieuse. Aussi Godefroid offrait-il ce visage qui se rencontre chez tant d’hommes, qu’il est devenu le type parisien : on y aperçoit des ambitions trompées ou mortes, une misère intérieure, une haine endormie dans l’indolence d’une vie assez occupée par le spectacle extérieur et journalier de Paris, une inappétence qui cherche des irritations, la plainte sans le talent, la grimace de la force, le venin de mécomptes antérieurs qui excite à sourire de toute moquerie, à conspuer tout ce qui grandit, à méconnaître les pouvoirs les plus nécessaires, se réjouir de leurs embarras, et ne tenir à aucune forme sociale. Ce mal parisien est, à la conspiration active et permanente des gens d’énergie, ce que l’aubier est à la sève de l’arbre : il la conserve, la soutient et la dissimule.

Lassé de lui-même, Godefroid voulut un matin donner un sens à sa vie en rencontrant un de ses camarades qui avait été la tortue de la fable de La Fontaine comme il en était le lièvre. Dans une de ces conversations provoquées par une reconnaissance entre amis de collége et tenue en se promenant au soleil sur le boulevard des Italiens, il fut atterré de trouver tout arrivé celui qui, doué en apparence de moins de moyens, de moins de fortune que lui, s’était mis à vouloir chaque matin ce qu’il voulait la veille. Le malade résolut alors d’imiter cette simplicité d’action.

— La vie sociale est comme la terre, lui avait dit son camarade, elle nous donne en raison de nos efforts.

Godefroid s’était endetté déjà. Pour première punition, pour première tâche, il s’imposa de vivre à l’écart en payant sa dette sur son revenu. Chez un homme habitué à dépenser six mille francs quand il en avait cinq, ce n’était pas une petite entreprise que de se réduire à vivre de deux mille francs. Il lut tous les matins les Petites-Affiches, espérant y trouver un asile où ses dépenses pussent être fixées, où il pût jouir de la solitude nécessaire à un