Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/61

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sieur Poiret, ancien employé retraité, devenu mon mari, que, depuis un an, je garde au lit… pauvre homme ! il est bien malade. Aussi ne saurais-je rester pendant longtemps hors de ma maison…

— Il se trouvait alors dans cette pension un certain Vautrin… demanda le juge.

— Oh, monsieur ! c’est toute une histoire, c’était un affreux galérien…

— Vous avez coopéré à son arrestation.

— C’est faux, monsieur…

— Vous êtes devant la Justice, prenez garde !… dit sévèrement monsieur Camusot.

Madame Poiret garda le silence.

— Rappelez vos souvenirs ! reprit Camusot, vous souvenez-vous bien de cet homme ?… le reconnaîtriez-vous ?

— Je le crois.

— Est-ce l’homme que voici ?… dit le juge.

Madame Poiret mit ses conserves et regarda l’abbé Carlos Herrera.

— C’est sa carrure, sa taille, mais… non… si… Monsieur le juge, reprit-elle, si je pouvais voir sa poitrine nue, je le reconnaîtrais à l’instant. (Voir le Père Goriot.)

Le juge et le greffier ne purent s’empêcher de rire, malgré la gravité de leurs fonctions, Jacques Collin partagea leur hilarité, mais avec mesure. Le prévenu n’avait pas remis la redingote que Bibi-Lupin venait de lui ôter ; et, sur un signe du juge, il ouvrit complaisamment sa chemise.

— Voilà bien sa palatine ; mais elle a grisonné, monsieur Vautrin, s’écria madame Poiret.

— Que répondez-vous à cela ? demanda le juge.

— Que c’est une folle ! dit Jacques Collin.

— Ah, mon Dieu ! si j’avais un doute, car il n’a plus la même figure, cette voix suffirait, c’est bien lui qui m’a menacée… Ah ! c’est son regard.

— L’agent de la police judiciaire et cette femme n’ont pas pu, reprit le juge en s’adressant à Jacques Collin, s’entendre pour dire de vous les mêmes choses, car ni l’un ni l’autre ne vous avaient vu ; comment expliquez-vous cela ?

— La justice a commis des erreurs encore plus fortes que celle à laquelle donneraient lieu le témoignage d’une femme qui reconnaît un homme au poil de sa poitrine et les soupçons d’un agent de