Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/69

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cette somme peut se retrouver, reprit Jacques Collin en faisant entendre au juge qu’il comprenait son soupçon. Cette pauvre fille était bien aimée par ses gens ; et, si j’étais libre, je me chargerais de chercher un argent qui maintenant appartient à l’être que j’aime le plus au monde, à Lucien !… Auriez-vous la bonté de me permettre de lire cette lettre, ce sera bientôt fait… c’est la preuve de l’innocence de mon cher enfant… vous ne pouvez pas craindre que je l’anéantisse… ni que j’en parle, je suis au secret…

— Au secret !… s’écria le magistrat, vous n’y serez plus… C’est moi qui vous prie d’établir le plus promptement possible votre état, ayez recours à votre ambassadeur si vous voulez…

Et il tendit la lettre à Jacques Collin. Camusot était heureux de sortir d’embarras, de pouvoir satisfaire le procureur général, mesdames de Maufrigneuse et de Sérisy. Néanmoins il examina froidement et curieusement la figure de son prévenu pendant qu’il lisait la lettre de la courtisane ; et, malgré la sincérité des sentiments qui s’y peignaient, il se disait : — C’est pourtant bien là une physionomie de bagne.

— Voilà comme on l’aime !… dit Jacques Collin en rendant la lettre… Et il fit voir à Camusot une figure baignée de larmes. — Si vous le connaissiez ! reprit-il, c’est une âme si jeune, si fraîche, une beauté si magnifique, un enfant, un poète… On éprouve irrésistiblement le besoin de se sacrifier à lui, de satisfaire ses moindres désirs. Ce cher Lucien est si ravissant quand il est câlin…

— Allons, dit le magistrat en faisant encore un effort pour découvrir la vérité, vous ne pouvez pas être Jacques Collin…

— Non, monsieur… répondit le forçat.

Et Jacques Collin se fit plus que jamais don Carlos Herrera. Dans son désir de terminer son œuvre, il s’avança vers le juge, l’emmena dans l’embrasure de la croisée et prit les manières d’un prince de l’Église, en prenant le ton des confidences.

— J’aime tant cet enfant, monsieur, que s’il fallait être le criminel pour qui vous me prenez afin d’éviter un désagrément à cette idole de mon cœur, je m’accuserais, dit-il à voix basse. J’imiterais la pauvre fille qui s’est tuée à son profit. Aussi, monsieur, vous supplié-je de m’accorder une faveur, c’est de mettre Lucien en liberté sur-le-champ…

— Mon devoir s’y oppose, dit Camusot avec bonhomie ; mais, s’il est avec le ciel des accommodements, la Justice sait avoir des égards,