Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/7

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

En ce moment, les deux paniers à salade sortis de si grand matin servaient exceptionnellement à transférer deux prévenus de la Maison d’Arrêt de la Force à la Conciergerie, et chacun de ces prévenus occupait à lui seul un panier à salade.

Les neuf dixièmes des lecteurs et les neuf dixièmes du dernier dixième ignorent certainement les différences considérables qui séparent ces mots : Inculpé, Prévenu, Accusé, Détenu, Maison d’Arrêt, Maison de Justice ou Maison de Détention ; aussi tous seront-ils vraisemblablement étonnés d’apprendre ici qu’il s’agit de tout notre Droit Criminel, dont l’explication succincte et claire leur sera donnée tout à l’heure autant pour leur instruction que pour la clarté du dénoûement de cette histoire. D’ailleurs, quand on saura que le premier panier à salade contenait Jacques Collin et le second Lucien qui venait en quelques heures de passer du faîte des grandeurs sociales au fond d’un cachot, la curiosité sera suffisamment excitée déjà. L’attitude des deux complices était caractéristique. Lucien de Rubempré se cachait pour éviter les regards que les passants jetaient sur le grillage de la sinistre et fatale voiture dans le trajet qu’elle faisait par la rue Saint-Antoine pour gagner les quais par la rue du Martroi, et par l’arcade Saint-Jean sous laquelle on passait alors pour traverser la place de l’Hôtel-de-Ville. Aujourd’hui cette arcade forme la porte d’entrée de l’hôtel du préfet de la Seine dans le vaste palais municipal. L’audacieux forçat collait sa face sur la grille de sa voiture, entre l’huissier et le gendarme qui, sûrs de leur panier à salade, causaient ensemble.

Les journées de juillet 1830 et leur formidable tempête ont tellement couvert de leur bruit les événements antérieurs, l’intérêt politique absorba tellement la France pendant les six derniers mois de cette année, que personne aujourd’hui ne se souvient plus ou se souvient à peine, quelque étranges qu’elles aient été, de ces catastrophes privées, judiciaires, financières qui forment la consommation annuelle de la curiosité parisienne et qui ne manquèrent pas dans les six premiers mois de cette année. Il est donc nécessaire de faire observer combien Paris était alors momentanément agité par la nouvelle de l’arrestation d’un prêtre espagnol trouvé chez une courtisane et par celle de l’élégant Lucien de Rubempré, le futur de mademoiselle de Grandlieu, pris sur la grand’route d’Italie, au petit village de Grez, inculpés tous les deux d’un assassinat dont le fruit allait à sept millions ; car le scandale de ce