Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/71

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et se rappelant l’insistance qu’il avait mise à être interrogé le premier, en s’appuyant sur son état de maladie, Camusot reprit toute sa défiance. En écoutant ses soupçons indéterminés, il vit le prétendu moribond allant, marchant comme un Hercule, ne faisant plus aucune des singeries si bien jouées qui en avaient signalé l’entrée.

— Monsieur ?…

Jacques Collin se retourna.

— Mon greffier, malgré votre refus de le signer, va vous lire le procès-verbal de votre interrogatoire.

Le prévenu jouissait d’une admirable santé, le mouvement par lequel il vint s’asseoir près du greffier fut un dernier trait de lumière pour le juge.

— Vous avez été promptement guéri ? dit Camusot.

— Je suis pincé, pensa Jacques Collin. Puis il répondit à haute voix : — La joie, monsieur, est la seule panacée qui existe… cette lettre, la preuve d’une innocence dont je ne doutais pas… voilà le grand remède.

Le juge suivit son prévenu d’un regard pensif lorsque l’huissier et les gendarmes l’entourèrent ; puis il fit le mouvement d’un homme qui se réveille, et jeta la lettre d’Esther sur le bureau de son greffier.

— Coquart, copiez cette lettre !…

S’il est dans la nature de l’homme de se défier de ce qu’on le supplie de faire quand la chose demandée est contre ses intérêts ou contre son devoir, souvent même quand elle lui est indifférente, ce sentiment est la loi du juge d’instruction. Plus le prévenu, dont l’état n’était pas encore fixé, fit apercevoir de nuages à l’horizon dans le cas où Lucien serait interrogé, plus cet interrogatoire parut nécessaire à Camusot. Cette formalité n’eût pas été, d’après le Code et les usages, indispensable, qu’elle était exigée par la question de l’identité de l’abbé Carlos, Dans toutes les carrières, il existe une conscience de métier. À défaut de curiosité, Camusot aurait questionné Lucien par honneur de magistrat comme il venait de questionner Jacques Collin, en déployant les ruses que se permet le magistrat le plus intègre. Le service à rendre, son avancement, tout passait chez Camusot après le désir de savoir la vérité, de la deviner, quitte à la taire. Il jouait du tambour sur les vitres en s’abandonnant au cours fluviatile de ses conjectures, car