Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/82

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Camusot comprit qu’il avait fait une énorme faute en tendant des pièges à Lucien, et il commença par obéir aux deux grandes dames. Il alluma une bougie et détruisit la lettre écrite par la duchesse. Le valet de chambre salua respectueusement.

— Madame de Sérisy va donc venir ? demanda-t-il.

— On attelait, répondit le valet de chambre.

En ce moment, Coquart vint apprendre à monsieur Camusot que le procureur général l’attendait.

Sous le poids de la faute qu’il avait commise contre son ambition au profit de la Justice, le juge, chez qui sept ans d’exercice avaient développé la finesse dont est pourvu tout homme qui s’est mesuré avec des grisettes en faisant son Droit, voulut avoir des armes contre le ressentiment des deux grandes dames. La bougie à laquelle il avait brûlé la lettre étant encore allumée, il s’en servit pour cacheter les trente billets de la duchesse de Maufrigneuse à Lucien et la correspondance assez volumineuse de madame de Sérisy. Puis il se rendit chez le procureur général.

Le Palais de Justice est un amas confus de constructions superposées les unes aux autres, les unes pleines de grandeur, les autres mesquines, et qui se nuisent entre elles par un défaut d’ensemble. La salle des Pas perdus est la plus grande des salles connues ; mais sa nudité fait horreur et décourage les yeux. Cette vaste cathédrale de la chicane écrase la cour royale. Enfin la galerie marchande mène à deux cloaques. Dans cette galerie on remarque un escalier à double rampe, un peu plus grand que celui de la police correctionnelle, et sous lequel s’ouvre une grande porte à deux battants. L’escalier conduit à la cour d’assises, et la porte inférieure à une seconde cour d’assises. Il se rencontre des années où les crimes commis dans le département de la Seine exigent deux sessions. C’est par là que se trouvent le parquet du procureur général, la chambre des avocats, leur bibliothèque, les cabinets des avocats généraux, des substituts du procureur général. Tous ces locaux, car il faut se servir d’un terme générique, sont unis par de petits escaliers de moulin, par des corridors sombres qui sont la honte de l’architecture, celle de la ville de Paris et celle de la France. Dans ses intérieurs, la première de nos justices souveraines surpasse les prisons dans ce qu’elles ont de hideux. Le peintre de mœurs reculerait devant la nécessité de décrire l’ignoble couloir d’un mètre de largeur où se tiennent les témoins à la