Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/101

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— Mademoiselle, dit-il avec une émotion mal déguisée, êtes-vous fille ou femme, ange ou démon ?

— Je suis l’un et l’autre, reprit-elle en riant. N’y a-t-il pas toujours quelque chose de diabolique et d’angélique chez une jeune fille qui n’a point aimé, qui n’aime pas, et qui n’aimera peut-être jamais ?

— Et vous trouvez-vous heureuse ainsi ?… dit-il en prenant un ton et des manières libres, comme s’il eût déjà conçu moins d’estime pour sa libératrice.

— Oh ! heureuse, reprit-elle, non. Si je viens à penser que je suis seule, dominée par des conventions sociales qui me rendent nécessairement artificieuse, j’envie les privilèges de l’homme. Mais, si je songe à tous les moyens que la nature nous a donnés pour vous envelopper, vous autres, pour vous enlacer dans les filets invisibles d’une puissance à laquelle aucun de vous ne peut résister, alors mon rôle ici-bas me sourit ; puis, tout à coup, il me semble petit, et je sens que je mépriserais un homme, s’il était la dupe de séductions vulgaires. Enfin tantôt j’aperçois notre joug, et il me plaît, puis il me semble horrible et je m’y refuse ; tantôt je sens en moi ce désir de dévouement qui rend la femme si noblement belle, puis j’éprouve un désir de domination qui me dévore. Peut-être, est-ce le combat naturel du bon et du mauvais principe qui fait vivre toute créature ici-bas. Ange ou démon, vous l’avez dit. Ah ! ce n’est pas d’aujourd’hui que je reconnais ma double nature. Mais, nous autres femmes, nous comprenons encore mieux que vous notre insuffisance. N’avons-nous pas un instinct qui nous fait pressentir en toute chose une perfection à laquelle il est sans doute impossible d’atteindre. Mais, ajouta-t-elle en regardant le ciel et jetant un soupir, ce qui nous grandit à vos yeux…

— C’est ?… dit-il.

— Eh ! bien, répondit-elle, c’est que nous luttons toutes, plus ou moins, contre une destinée incomplète.

— Mademoiselle, pourquoi donc nous quittons-nous ce soir ?

— Ah ! dit-elle en souriant au regard passionné que lui lança le jeune homme, remontons en voiture, le grand air ne nous vaut rien.

Marie se retourna brusquement, l’inconnu la suivit, et lui serra le bras par un mouvement peu respectueux, mais qui exprima tout à la fois d’impérieux désirs et de l’admiration. Elle marcha plus