Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/118

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— Mais, répliqua le marquis, si sa mort délivre le pays, fusillez-le donc bien vite.

Puis il sonda par un regard l’âme de mademoiselle de Verneuil, et il se passa entre eux une de ces scènes muettes dont le langage ne peut reproduire que très imparfaitement la vivacité dramatique et la fugitive finesse. Le danger rend intéressant. Quand il s’agit de mort, le criminel le plus vil excite toujours un peu de pitié. Or, quoique mademoiselle de Verneuil fût alors certaine que l’amant qui la dédaignait était ce chef dangereux, elle ne voulait pas encore s’en assurer par son supplice ; elle avait une tout autre curiosité à satisfaire. Elle préféra donc douter ou croire selon sa passion, et se mit à jouer avec le péril. Son regard, empreint d’une perfidie moqueuse, montrait les soldats au jeune chef d’un air de triomphe ; en lui présentant ainsi l’image de son danger, elle se plaisait à lui faire durement sentir que sa vie dépendait d’un seul mot, et déjà ses lèvres paraissaient se mouvoir pour le prononcer. Semblable à un sauvage d’Amérique, elle interrogeait les fibres du visage de son ennemi lié au poteau, et brandissait le casse-tête avec grâce, savourant une vengeance toute innocente, et punissant comme une maîtresse qui aime encore.

— Si j’avais un fils comme le vôtre, madame, dit-elle à l’étrangère visiblement épouvantée, je porterais son deuil le jour où je l’aurais livré aux dangers.

Elle ne reçut point de réponse. Elle tourna vingt fois la tête vers les officiers et la retourna brusquement vers madame du Gua, sans surprendre entre elle et le marquis aucun signe secret qui pût lui confirmer une intimité qu’elle soupçonnait et dont elle voulait douter. Une femme aime tant à hésiter dans une lutte de vie et de mort, quand elle tient l’arrêt. Le jeune général souriait de l’air le plus calme, et soutenait sans trembler la torture que mademoiselle de Verneuil lui faisait subir ; son attitude et l’expression de sa physionomie annonçaient un homme nonchalant des dangers auxquels il s’était soumis, et parfois il semblait lui dire : « Voici l’occasion de venger votre vanité blessée, saisissez-la ! Je serais au désespoir de revenir de mon mépris pour vous. » Mademoiselle de Verneuil se mit à examiner le chef de toute la hauteur de sa position avec une impertinence et une dignité apparente, car, au fond de son cœur, elle en admirait le courage et la tranquillité. Joyeuse de découvrir que son amant portait un vieux titre, dont les