Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/120

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route et se dirigea vers la Vivetière, à travers un chemin creux encaissé de hauts talus plantés de pommiers qui en faisaient plutôt un fossé qu’une route. Les voyageurs laissèrent les soldats gagner lentement à leur suite le manoir dont les faîtes grisâtres apparaissaient et disparaissaient tour à tour entre les arbres de cette route argileuse où plusieurs des gens de l’escorte restèrent occupés à en retirer leurs souliers.

— Cela ressemble furieusement au chemin du paradis, s’écria Beau-pied.

Grâce à l’expérience que le postillon avait de ces chemins, mademoiselle de Verneuil ne tarda pas à voir Le château de la Vivetière, Cette maison, située sur la croupe d’une espèce de promontoire, était défendue et enveloppée par deux étangs profonds qui ne permettaient d’y arriver qu’en suivant une étroite chaussée. La partie de cette péninsule où se trouvaient les habitations et les jardins était protégée à une certaine distance derrière le château, par un large fossé où se déchargeait l’eau superflue des étangs avec lesquels il communiquait, et formait ainsi réellement une île presque inexpugnable, retraite précieuse pour un chef qui ne pouvait être surpris que par trahison. En entendant crier les gonds rouillés de la porte et en passant sous la voûte en ogive d’un portail ruiné par la guerre précédente, mademoiselle de Verneuil avança la tête. Les couleurs sinistres du tableau qui s’offrit à ses regards effacèrent presque les pensées d’amour et de coquetterie entre lesquelles elle se berçait. La voiture entra dans une grande cour presque carrée et fermée par les rives abruptes des étangs. Ces berges sauvages, baignées par des eaux couvertes de grandes taches vertes, avant pour tout ornement des arbres aquatiques dépouillés de feuilles, dont les troncs rabougris, les têtes énormes et chenues, élevées au-dessus des roseaux et des broussailles, ressemblaient à des marmousets grotesques. Ces haies disgracieuses parurent s’animer et parler quand les grenouilles les désertèrent en coassant, et que des poules d’eau, réveillées par le bruit de la voiture, volèrent en barbotant sur la surface des étangs. La cour entourée d’herbes hautes et flétries, d’ajoncs, d’arbustes nains ou parasites, excluait toute idée d’ordre et de splendeur. Le château semblait abandonné depuis longtemps. Les toits paraissaient plier sous le poids des végétations qui y croissaient, Les murs, quoique construits de ces pierres schisteuses et solides dont abonde le sol, of-