Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/127

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à une cause perdue. Elle dessina la figure de son amant sur cette masse, se plut à l’en faire ressortir, et ne vit plus dans ces figures maigres et grêles que les instruments de ses nobles desseins. En ce moment, les pas du marquis retentirent dans la salle voisine. Tout à coup les conspirateurs se séparèrent en plusieurs groupes, et les chuchotements cessèrent. Semblables à des écoliers qui ont comploté quelque malice en l’absence de leur maître, ils s’empressèrent d’affecter l’ordre et le silence. Montauran entra, Marie eut le bonheur de l’admirer au milieu de ces gens parmi lesquels il était le plus jeune, le plus beau, le premier. Comme un roi dans sa cour, il alla de groupe en groupe, distribua de légers coups de tête, des serrements de main, des regards, des paroles d’intelligence ou de reproche, en faisant son métier de chef de parti avec une grâce et un aplomb difficiles à supposer dans ce jeune homme d’abord accusé par elle d’étourderie. La présence du marquis mit un terme à la curiosité qui s’était attachée à mademoiselle de Verneuil ; mais, bientôt, les méchancetés de madame du Gua produisirent leur effet. Le baron du Génic, surnommé l’Intimé, qui, parmi tous ces hommes rassemblés par de graves intérêts, paraissait autorisé par son nom et par son rang à traiter familièrement Montauran, le prit par le bras et l’emmena dans un coin.

— Écoute, mon cher marquis, lui dit-il, nous te voyons tous avec peine sur le point de faire une insigne folie.

— Qu’entends-tu par ces paroles ?

— Mais sais-tu bien d’où vient cette fille, qui elle est réellement, et quels sont ses desseins sur toi ?

— Mon cher l’Intimé, entre nous soit dit, demain matin, ma fantaisie sera passée.

— D’accord, mais si cette créature te livre avant le jour ?…

— Je te répondrai quand tu m’auras dit pourquoi elle ne l’a pas déjà fait, répliqua Montauran, qui prit par badinage un air de fatuité.

— Oui, mais si tu lui plais, elle ne veut peut-être pas te trahir avant que sa fantaisie, à elle, soit passée.

— Mon cher, regarde cette charmante fille, étudie ses manières, et ose dire que ce n’est pas une femme de distinction ? Si elle jetait sur toi des regards favorables, ne sentirais-tu pas, au fond de ton âme, quelque respect pour elle. Une dame vous a déjà prévenus contre cette personne ; mais, après ce que nous nous