Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/134

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résonne le bruit d’une chasse lointaine. Elle vit Pille-miche qui sortit de l’écurie. Ce Chouan était accompagné de deux paysans, et tous trois portaient des bottes de paille ; ils les étalèrent de manière à former une longue litière devant le corps de bâtiment inhabité parallèle à la berge bordée d’arbres nains, où les Chouans marchaient avec un silence qui trahissait les apprêts de quelque horrible stratagème.

— Tu leur donnes de la paille comme s’ils devaient réellement dormir là. Assez, Pille-miche, assez, dit une voix rauque et sourde que Francine reconnut.

— N’y dormiront-ils pas ? reprit Pille-miche en laissant échapper un gros rire bête. Mais ne crains-tu pas que le Gars ne se fâche ? ajouta-t-il si bas que Francine n’entendit rien.

— Eh ! bien, il se fâchera, répondit à demi-voix Marche-à-terre ; mais nous aurons tué les Bleus, tout de même. — Voilà, reprit-il, une voiture qu’il faut rentrer à nous deux.

Pille-miche tira la voiture par le timon, et Marche-à-terre la poussa par une des roues avec une telle prestesse que Francine se trouva dans la grange et sur le point d’y rester enfermée, avant d’avoir eu le temps de réfléchir à sa situation. Pille-miche sortit pour aider à amener la pièce de cidre que le marquis avait ordonné de distribuer aux soldats de l’escorte. Marche-à-terre passait le long de la calèche pour se retirer et fermer la porte, quand il se sentit arrêté par une main qui saisit les longs crins de sa peau de chèvre. Il reconnut des yeux dont la douceur exerçait sur lui la puissance du magnétisme, et demeura pendant un moment comme charmé. Francine sauta vivement hors de la voiture, et lui dit de cette voix agressive qui va merveilleusement à une femme irritée : — Pierre, quelles nouvelles as-tu donc apportées sur le chemin à cette dame et à son fils ? Que fait-on ici ? Pourquoi te caches-tu ? je veux tout savoir. Ces mots donnèrent au visage du Chouan une expression que Francine ne lui connaissait pas. Le Breton amena son innocente maîtresse sur le seuil de la porte ; là, il la tourna vers la lueur blanchissante de la lune, et lui répondit en la regardant avec des yeux terribles : — Oui, par ma damnation ! Francine, je te le dirai, mais quand tu m’auras juré sur ce chapelet… Et il tira un vieux chapelet de dessous sa peau de bique. — Sur cette relique que tu connais, reprit-il, de me répondre vérité à une seule demande. Francine rougit en regardant ce chapelet qui,