Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/139

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amant, vers lequel elle se tourna pour se venger, par une autre admiration, de la République qu’elle haïssait déjà. En voyant le marquis entouré de ces hommes assez hardis, assez fanatiques, assez calculateurs de l’avenir, pour attaquer une République victorieuse dans l’espoir de relever une monarchie morte, une religion mise en interdit, des princes errants et des privilèges expirés :

— Celui-ci, se dit-elle, n’a pas moins de portée que l’autre ; car, accroupi sur des décombres, il veut faire du passé, l’avenir.

Son esprit nourri d’images hésitait alors entre les jeunes et les vieilles ruines. Sa conscience lui criait bien que l’un se battait pour un homme, l’autre pour un pays ; mais elle était arrivée par le sentiment au point où l’on arrive par la raison, à reconnaître que le roi, c’est le pays.

En entendant retentir dans le salon les pas d’un homme, le marquis se leva pour aller à sa rencontre. Il reconnut le convive attendu qui, surpris de la compagnie, voulut parler ; mais le Gars déroba aux Républicains le signe qu’il lui fit pour l’engager à se taire et à prendre place au festin. À mesure que les deux officiers républicains analysaient les physionomies de leurs hôtes, les soupçons qu’ils avaient conçus d’abord renaissaient. Le vêtement ecclésiastique de l’abbé Gudin et la bizarrerie des costumes chouans éveillèrent leur prudence ; ils redoublèrent alors d’attention et découvrirent de plaisants contrastes entre les manières des convives et leurs discours. Autant le républicanisme manifesté par quelques-uns d’entre eux était exagéré, autant les façons de quelques autres étaient aristocratiques. Certains coups d’œil surpris entre le marquis et ses hôtes, certains mots à double sens imprudemment prononcés, mais surtout la ceinture de barbe dont le cou de quelques convives était garni et qu’ils cachaient assez mal dans leurs cravates, finirent par apprendre aux deux officiers une vérité qui les frappa en même temps. Ils se révélèrent leurs communes pensées par un même regard, car madame du Gua les avait habilement séparés et ils en étaient réduits au langage de leurs yeux. Leur situation commandait d’agir avec adresse, ils ne savaient s’ils étaient les maîtres du château, ou s’ils y avaient été attirés dans une embûche ; si mademoiselle de Verneuil était la dupe ou la complice de cette inexplicable aventure ; mais un événement imprévu précipita la crise, avant qu’ils pussent en connaître toute la gravité.

Le nouveau convive était un de ces hommes carrés de base