Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/144

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contre-signé Dubois. À ces noms quelques personnes levèrent la tête. — Et en voici la teneur, dit en continuant madame du Gua :

« Les citoyens commandants militaires de tout grade, administrateurs de district, les procureurs-syndics, etc., des départements insurgés, et particulièrement ceux des localités où se trouvera le ci-devant marquis de Montauran, chef de brigands et surnommé le Gars, devront prêter secours et assistance à la citoyenne Marie Verneuil et se conformer aux ordres qu’elle pourra leur donner, chacun en ce qui le concerne, etc. »

— Une fille d’Opéra prendre un nom illustre pour le souiller de cette infamie ! ajouta-t-elle.

Un mouvement de surprise se manifesta dans l’assemblée.

— La partie n’est pas égale si la République emploie de si jolies femmes contre nous, dit gaiement le baron du Guénic.

— Surtout des filles qui ne mettent rien au jeu, répliqua madame du Gua.

— Rien ? dit le chevalier du Vissard, mademoiselle a cependant un domaine qui doit lui rapporter de bien grosses rentes !

— La République aime donc bien à rire, pour nous envoyer des filles de joie en ambassade, s’écria l’abbé Gudin.

— Mais mademoiselle recherche malheureusement des plaisirs qui tuent, reprit madame du Gua avec une horrible expression de joie qui indiquait le terme de ces plaisanteries.

— Comment donc vivez-vous encore, madame ? dit la victime en se relevant après avoir réparé le désordre de sa toilette.

Cette sanglante épigramme imprima une sorte de respect pour une si fière victime et imposa silence à l’assemblée. Madame du Gua vit errer sur les lèvres des chefs un sourire dont l’ironie la mit en fureur ; et alors, sans apercevoir le marquis ni le capitaine qui survinrent : — Pille-miche, emporte-la, dit-elle au Chouan en lui désignant mademoiselle de Verneuil, c’est ma part du butin, je te la donne, fais-en tout ce que tu voudras.

À ce mot tout prononcé par cette femme, l’assemblée entière frissonna, car les têtes hideuses de Marche-à-terre et de Pille-miche se montrèrent derrière le marquis, et le supplice apparut dans toute son horreur.

Francine debout, les mains jointes, les yeux pleins de larmes, restait comme frappée de la foudre. Mademoiselle de Verneuil, qui recouvra dans le danger toute sa présence d’esprit, jeta sur l’assem-