Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/150

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— Je t’achète tout ton butin.

— Gausses-tu ? demanda le Chouan en tirant sa prisonnière par les jupons comme un boucher ferait d’un veau qui s’échappe.

— Laisse-la-moi voir, je te dirai un prix.

L’infortunée fut contrainte de descendre et demeura entre les deux Chouans, qui la tinrent chacun par une main, en la contemplant comme les deux vieillards durent regarder Suzanne dans son bain.

— Veux-tu, dit Marche-à-terre en poussant un soupir, veux-tu trente livres de bonne rente ?

Ben vrai.

— Tope, lui dit Marche-à-terre en lui tendant la main.

— Oh ! je tope, il y a de quoi avoir des Bretonnes avec ça, et des godaines ! Mais la voiture, à qui qué sera ? reprit Pille-miche en se ravisant.

— À moi, s’écria Marche-à-terre d’un son de voix terrible qui annonça l’espèce de supériorité que son caractère féroce lui donnait sur tous ses compagnons.

— Mais s’il y avait de l’or dans la voiture ?

— N’as-tu pas topé ?

— Oui, j’ai topé.

— Eh ! bien, va chercher le postillon qui est garrotté dans l’écurie.

— Mais s’il y avait de l’or dans…

— Y en a-t-il ? demanda brutalement Marche-à-terre à Marie en lui secouant le bras.

— J’ai une centaine d’écus, répondit mademoiselle de Verneuil.

À ces mots les deux Chouans se regardèrent.

— Eh ! mon bon ami, ne nous brouillons pas pour une Bleue, dit Pille-miche à l’oreille de Marche-à-terre, boutons-la dans l’étang avec une pierre au cou, et partageons les cent écus.

— Je te donne les cent écus dans ma part de la rançon de d’Orgemont, s’écria Marche-à-terre en étouffant un grognement causé par ce sacrifice.

Pille-miche poussa une espèce de cri rauque, alla chercher le postillon, et sa joie porta malheur au capitaine qu’il rencontra. En entendant le coup de feu, Marche-à-terre s’élança vivement à l’endroit où Francine, encore épouvantée, priait à genoux, les mains jointes auprès du pauvre capitaine, tant le spectacle d’un meurtre l’avait vivement frappée.