Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/160

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pays considérable, l’amitié, tout avait contribué à rendre au vieux militaire le feu de sa jeunesse.

— Voilà donc cette vie que je désirais, s’écria mademoiselle de Verneuil quand elle se trouva seule avec Francine, quelques rapides que soient les heures, elles sont pour moi comme des siècles de pensées.

Elle prit tout à coup la main de Francine, et sa voix, comme celle du premier rouge-gorge qui chante après l’orage, laissa échapper lentement ces paroles :

— J’ai beau faire, mon enfant, je vois toujours ces deux lèvres délicieuses, ce menton court et légèrement relevé, ces yeux de feu, et j’entends encore le — hue ! — du postillon. Enfin, je rêve… et pourquoi donc tant de haine au réveil ?

Elle poussa un long soupir, se leva ; puis, pour la première fois, elle se mit à regarder le pays livré à la guerre civile par ce cruel gentilhomme qu’elle voulait attaquer, à elle seule. Séduite par la vue du paysage, elle sortit pour respirer plus à l’aise sous le ciel, et si elle suivit son chemin à l’aventure, elle fut certes conduite vers la Promenade de la ville par ce maléfice de notre âme qui nous fait chercher des espérances dans l’absurde. Les pensées conçues sous l’empire de ce charme se réalisent souvent ; mais on en attribue alors la prévision à cette puissance appelée le pressentiment ; pouvoir inexpliqué, mais réel, que les passions trouvent toujours complaisant comme un flatteur qui, à travers ses mensonges, dit parfois la vérité.


CHAPITRE III.

UN JOUR SANS LENDEMAIN.

Les derniers événements de cette histoire ayant dépendu de la disposition des lieux où ils se passèrent, il est indispensable d’en donner ici une minutieuse description, sans laquelle le dénouement serait d’une compréhension difficile.

La ville de Fougères est assise en partie sur un rocher de schiste que l’on dirait tombé en avant des montagnes qui ferment au couchant la grande vallée du Couesnon, et prennent différents noms suivant les localités. À cette exposition, la ville est séparée de ces montagnes par une gorge au fond de laquelle coule une petite rivière