Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/176

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— Non, madame, s’écria Pille-miche après quelques minutes de silence, vous resteriez là dix ans, ils ne reviendront pas.

— Mais elle n’est pas sortie, elle doit être ici, dit obstinément la Jument de Charrette.

— Non, madame, non, ils se sont envolés à travers les murs. Le diable n’a-t-il pas déjà emporté là, devant nous, un assermenté ?

— Comment ! toi, Pille-miche, avare comme lui, ne devines-tu pas que le vieux cancre aura bien pu dépenser quelques milliers de livres pour construire dans les fondations de cette voûte un réduit dont l’entrée est cachée par un secret ?

L’avare et la jeune fille entendirent un gros rire échappé à Pille-miche.

— Ben vrai, dit-il.

— Reste ici, reprit madame du Gua. Attends-les à la sortie. Pour un seul coup de fusil je te donnerai tout ce que tu trouveras dans le trésor de notre usurier. Si tu veux que je te pardonne d’avoir vendu cette fille quand je t’avais dit de la tuer, obéis-moi.

— Usurier ! dit le vieux d’Orgemont, je ne lui ai pourtant prêté qu’à neuf pour cent. Il est vrai que j’ai une caution hypothécaire ! Mais enfin, voyez comme elle est reconnaissante ! Allez, madame, si Dieu nous punit du mal, le diable est là pour nous punir du bien, et l’homme placé entre ces deux termes-là, sans rien savoir de l’avenir, m’a toujours fait l’effet d’une règle de trois dont l’X est introuvable.

Il laissa échapper un soupir creux qui lui était particulier, car, en passant par son larynx, l’air semblait y rencontrer et attaquer deux vieilles cordes détendues. Le bruit que firent Pille-miche et madame du Gua en sondant de nouveau les murs, les voûtes et les dalles, parut rassurer d’Orgemont, qui saisit la main de sa libératrice pour l’aider à monter une étroite vis Saint-Gilles, pratiquée dans l’épaisseur d’un mur en granit. Après avoir gravi une vingtaine de marches, la lueur d’une lampe éclaira faiblement leurs têtes. L’avare s’arrêta, se tourna vers sa compagne, en examina le visage comme s’il eût regardé, manié et remanié une lettre de change douteuse à escompter, et poussa son terrible soupir.

— En vous mettant ici, dit-il après un moment de silence, je vous ai remboursé intégralement le service que vous m’avez rendu ; donc, je ne vois pas pourquoi je vous donnerais…