Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/183

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vie se réveilla partout. Mais à peine la jeune fille avait-elle eu le temps d’abaisser ses regards sur les masses de ce paysage si curieux, que, par un phénomène assez fréquent dans ces fraîches contrées, des vapeurs s’étendirent en nappes, comblèrent les vallées, montèrent jusqu’aux plus hautes collines, ensevelirent ce riche bassin sous un manteau de neige. Bientôt mademoiselle de Verneuil crut revoir une de ces mers de glace qui meublent les Alpes. Puis cette nuageuse atmosphère roula des vagues comme l’Océan, souleva des lames impénétrables qui se balancèrent avec mollesse, ondoyèrent, tourbillonnèrent violemment, contractèrent aux rayons du soleil des teintes d’un rose vif, en offrant çà et là les transparences d’un lac d’argent fluide. Tout à coup le vent du nord souffla sur cette fantasmagorie et dissipa les brouillards qui déposèrent une rosée pleine d’oxyde sur les gazons. Mademoiselle de Verneuil put alors apercevoir une immense masse brune placée sur les rochers de Fougères. Sept à huit cents Chouans armés s’agitaient dans le faubourg Saint-Sulpice comme des fourmis dans une fourmilière. Les environs du château occupés par trois mille hommes arrivés comme par magie furent attaqués avec fureur. Cette ville endormie, malgré ses remparts verdoyants et ses vieilles tours grises, aurait succombé, si Hulot n’eût pas veillé. Une batterie cachée sur une éminence qui se trouve au fond de la cuvette que forment les remparts, répondit au premier feu des Chouans en les prenant en écharpe sur le chemin du château. La mitraille nettoya la route, et la balaya. Puis la compagnie sortit de la porte Saint-Sulpice, profita de l’étonnement des Chouans, se mit en bataille sur le chemin et commença sur eux un feu meurtrier. Les Chouans n’essayèrent pas de résister, en voyant les remparts du château se couvrir de soldats comme si l’art du machiniste y eût appliqué des lignes bleues, et le feu de la forteresse protéger celui des tirailleurs républicains. Cependant d’autres Chouans, maîtres de la petite vallée du Nançon, avaient gravi les galeries du rocher et parvenaient à la Promenade, où ils montèrent ; elle fut couverte de peaux de bique qui lui donnèrent l’apparence d’un toit de chaume bruni par le temps. Au même moment, de violentes détonations se firent entendre dans la partie de la ville qui regardait la vallée du Couësnon. Évidemment Fougères, attaqué sur tous les points, était entièrement cerné. Le feu qui se manifesta sur le revers oriental du rocher prouvait même que