Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/187

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’une close par une méchante claie servait d’étable, et les maîtres habitaient l’autre. Quoique cette cabane dût au voisinage de la ville quelques améliorations complètement perdues à deux lieues plus loin, elle expliquait bien l’instabilité de la vie à laquelle les guerres et les usages de la Féodalité avaient si fortement subordonné les mœurs du serf, qu’aujourd’hui beaucoup de paysans appellent encore en ces contrées une demeure, le château habité par leurs seigneurs. Enfin, en examinant ces lieux avec un étonnement assez facile à concevoir, mademoiselle de Verneuil remarqua çà et là, dans la fange de la cour, des fragments de granit disposés de manière à tracer vers l’habitation un chemin qui présentait plus d’un danger ; mais en entendant le bruit de la mousqueterie qui se rapprochait sensiblement, elle sauta de pierre en pierre, comme si elle traversait un ruisseau, pour demander un asile. Cette maison était fermée par une de ces portes qui se composent de deux parties séparées, dont l’inférieure est en bois plein et massif, et dont la supérieure est défendue par un volet qui sert de fenêtre. Dans plusieurs boutiques de certaines petites villes en France, on voit le type de cette porte, mais beaucoup plus orné et armé à la partie inférieure d’une sonnette d’alarme ; celle-ci s’ouvrait au moyen d’un loquet de bois digne de l’âge d’or, et la partie supérieure ne se fermait que pendant la nuit, car le jour ne pouvait pénétrer dans la chambre que par cette ouverture. Il existait bien une grossière croisée, mais ces vitres ressemblaient à des fonds de bouteille, et les massives branches de plomb qui les retenaient prenaient tant de place qu’elle semblait plutôt destinée à intercepter qu’à laisser passer la lumière.

Quand mademoiselle de Verneuil fit tourner la porte sur ses gonds criards, elle sentit d’effroyables vapeurs alcalines sorties par bouffées de cette chaumière, et vit que les quadrupèdes avaient ruiné à coups de pied le mur intérieur qui les séparait de la chambre. Ainsi l’intérieur de la ferme, car c’était une ferme, n’en démentait pas l’extérieur. Mademoiselle de Verneuil se demandait s’il était possible que des êtres humains vécussent dans cette fange organisée, quand un petit gars en haillons et qui paraissait avoir huit ou neuf ans, lui présenta tout à coup sa figure fraîche, blanche et rose, des joues bouffies, des yeux vifs, des dents d’ivoire et une chevelure blonde qui tombait par écheveaux sur ses épaules demi-nues ; ses membres étaient vigoureux, et son attitude avait