Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/198

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tection accordées à une femme au milieu d’un bal, est-ce une rançon chère ?… Allez, vous ne valez pas une obole de plus… Et, par un sourire, elle ôta toute amertume à ces paroles.

— Que demanderez-vous pour la carabine ? dit le comte en riant.

— Oh ! plus que pour vous.

— Quoi ?

— Le secret. Croyez-moi, Bauvan, la femme ne peut être devinée que par une femme. Je suis certaine que si vous dites un mot, je puis périr en chemin. Hier quelques balles m’ont avertie des dangers que j’ai à courir sur la route. Oh ! cette dame est aussi habile à la chasse que leste à la toilette. Jamais femme de chambre ne m’a si promptement déshabillée. Ah ! de grâce, dit-elle, faites en sorte que je n’aie rien de semblable à craindre au bal…

— Vous y serez sous ma protection, répondit le comte avec orgueil. Mais viendrez-vous donc à Saint-James pour Montauran ? demanda-t-il d’un air triste.

— Vous voulez être plus instruit que je ne le suis, dit-elle en riant. Maintenant, sortez, ajouta-t-elle après une pause. Je vais vous conduire moi-même hors de la ville, car vous vous faites ici une guerre de cannibales.

— Vous vous intéressez donc un peu à moi ? s’écria le comte. Ah ! mademoiselle, permettez-moi d’espérer que vous ne serez pas insensible à mon amitié ; car il faut se contenter de ce sentiment, n’est-ce pas ? ajouta-t-il d’un air de fatuité.

— Allez, devin ! dit-elle avec cette joyeuse expression que prend une femme pour faire un aveu qui ne compromet ni sa dignité ni son secret.

Puis, elle mit une pelisse et accompagna le comte jusqu’au Nid-aux-crocs. Arrivée au bout du sentier, elle lui dit : — Monsieur, soyez absolument discret, même avec le marquis. Et elle mit un doigt sur ses deux lèvres.

Le comte, enhardi par l’air de bonté de mademoiselle de Verneuil, lui prit la main, elle la lui laissa prendre comme une grande faveur, et il la lui baisa tendrement.

— Oh ! mademoiselle, comptez sur moi à la vie, à la mort, s’écria-t-il en se voyant hors de tout danger. Quoique je vous doive une reconnaissance presque égale à celle que je dois à ma mère, il me sera bien difficile de n’avoir pour vous que du respect…

Il s’élança dans le sentier ; après l’avoir vu gagnant les rochers de Saint-Sulpice, Marie remua la tête en signe de satisfaction et se