Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/201

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— Il faut, dit Marie en présentant au Surveillant de Fougères le gant du marquis de Montauran, que je me rende promptement à Saint-James. M. le comte de Bauvan m’a dit que ce serait toi qui m’y conduirais et qui me servirais de défenseur. Ainsi, mon cher Galope-chopine, procure-nous deux ânes pour monture, et prépare-toi à nous accompagner. Le temps est précieux, car si nous n’arrivons pas avant demain soir à Saint-James, nous ne verrons ni le Gars, ni le bal.

Galope-chopine, tout ébaubi, prit le gant, le tourna, le retourna, et alluma une chandelle en résine, grosse comme le petit doigt et de la couleur du pain d’épice. Cette marchandise importée en Bretagne du nord de l’Europe accuse, comme tout ce qui se présente aux regards dans ce singulier pays, une ignorance de tous les principes commerciaux, même les plus vulgaires. Après avoir vu le ruban vert, et regardé mademoiselle de Verneuil, s’être gratté l’oreille, avoir bu un piché de cidre en en offrant un verre à la belle dame, Galope-chopine la laissa devant la table sur le banc de châtaignier poli, et alla chercher deux ânes. La lueur violette que jetait la chandelle exotique, n’était pas assez forte pour dominer les jets capricieux de la lune qui nuançaient par des points lumineux les tons noirs du plancher et des meubles de la chaumière enfumée. Le petit gars avait levé sa jolie tête étonnée, et au-dessus de ses beaux cheveux, deux vaches montraient, à travers les trous du mur de l’étable, leurs mufles roses et leurs gros yeux brillants. Le grand chien, dont la physionomie n’était pas la moins intelligente de la famille, semblait examiner les deux étrangères avec autant de curiosité qu’en annonçait l’enfant. Un peintre aurait admiré longtemps les effets de nuit de ce tableau ; mais, peu curieuse d’entrer en conversation avec Barbette qui se dressait sur son séant comme un spectre et commençait à ouvrir de grands yeux en la reconnaissant, Marie sortit pour échapper à l’air empesté de ce taudis et aux questions que la Bécanière allait lui faire. Elle monta lestement l’escalier du rocher qui abritait la hutte de Galope-chopine, et y admira les immenses détails de ce paysage, dont les points de vue subissaient autant de changements que l’on faisait de pas en avant ou en arrière, vers le haut des sommets ou le bas des vallées. La lumière de la lune enveloppait alors, comme d’une brume lumineuse, la vallée du Couësnon. Certes, une femme qui portait en son cœur un amour méconnu devait savourer