Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/209

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette prédication soutenue par l’éclat d’un organe emphatique et par des gestes multipliés qui mirent l’orateur tout en eau, produisit en apparence peu d’effet. Les paysans immobiles et debout, les yeux attachés sur l’orateur, ressemblaient à des statues ; mais mademoiselle de Verneuil remarqua bientôt que cette attitude générale était le résultat d’un charme jeté par l’abbé sur cette foule. Il avait, à la manière des grands acteurs, manié tout son public comme un seul homme, en parlant aux intérêts et aux passions. N’avait-il pas absous d’avance les excès, et délié les seuls liens qui retinssent ces hommes grossiers dans l’observation des préceptes religieux et sociaux. Il avait prostitué le sacerdoce aux intérêts politiques ; mais, dans ces temps de révolution, chacun faisait, au profit de son parti, une arme de ce qu’il possédait, et la croix pacifique de Jésus devenait un instrument de guerre aussi bien que le soc nourricier des charrues. Ne rencontrant aucun être avec lequel elle pût s’entendre, mademoiselle de Verneuil se retourna pour regarder Francine, et ne fut pas médiocrement surprise de lui voir partager cet enthousiasme, car elle disait dévotieusement son chapelet sur celui de Galope-chopine qui le lui avait sans doute abandonné pendant la prédication.

— Francine ! lui dit-elle à voix basse, tu as donc peur d’être une Mahumétische ?

— Oh ! mademoiselle, répliqua la Bretonne, voyez donc là-bas la mère de Pierre qui marche…

L’attitude de Francine annonçait une conviction si profonde, que Marie comprit alors tout le secret de ce prône, l’influence du clergé sur les campagnes, et les prodigieux effets de la scène qui commença.

Les paysans les plus voisins de l’autel s’avancèrent un à un, et s’agenouillèrent en offrant leurs fusils au prédicateur qui les remettait sur l’autel. Galope-chopine se hâta d’aller présenter sa vieille canardière. Les trois prêtres chantèrent l’hymne du Veni Creator tandis que le célébrant enveloppait ces instruments de mort dans un nuage de fumée bleuâtre, en décrivant des dessins qui semblaient s’entrelacer. Lorsque la brise eut dissipé la vapeur de l’encens, les fusils furent distribués par ordre. Chaque homme reçut le sien à genoux, de la main des prêtres qui récitaient une prière latine en les leur rendant. Lorsque les hommes armés revinrent à leurs places, le profond enthousiasme de l’assistance,