Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/240

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— Allons, tais-toi, bon homme, tu n’es pas venu ici vendre du beurre, car tu as affaire à une femme qui n’a jamais rien marchandé de sa vie. Le métier que tu fais, mon vieux, te rendra quelque jour plus court de la tête. Et Corentin le frappant amicalement sur l’épaule, ajouta : — On ne peut pas être longtemps à la fois l’homme des Chouans et l’homme des Bleus.

Galope-chopine eut besoin de toute sa présence d’esprit pour dévorer sa rage et ne pas repousser cette accusation que son avarice rendait juste. Il se contenta de répondre : — Monsieur veut se gausser de moi.

Corentin avait tourné le dos au Chouan ; mais, tout en saluant mademoiselle de Verneuil dont le cœur se serra, il pouvait facilement l’examiner dans la glace. Galope-chopine, qui ne se crut plus vu par l’espion, consulta par un regard Francine, et Francine lui indiqua la porte en disant : — Venez avec moi, mon bon homme, nous nous arrangerons toujours bien.

Rien n’avait échappé à Corentin, ni la contraction que le sourire de mademoiselle de Verneuil déguisait mal, ni sa rougeur et le changement de ses traits, ni l’inquiétude du Chouan, ni le geste de Francine, il avait tout aperçu. Convaincu que Galope-chopine était un émissaire du marquis, il l’arrêta par les longs poils de sa peau de chèvre au moment où il sortait, le ramena devant lui, et le regarda fixement en lui disant : — Où demeures-tu, mon cher ami ? J’ai besoin de beurre…

— Mon bon monsieur, répondait le Chouan, tout Fougères sait où je demeure, je suis quasiment de…

— Corentin ! s’écria mademoiselle de Verneuil en interrompant la réponse de Galope-chopine, vous êtes bien hardi de venir chez moi à cette heure, et de me surprendre ainsi ? À peine suis-je habillée… Laissez ce paysan tranquille, il ne comprend pas plus vos ruses que je n’en conçois les motifs. Allez, brave homme !

Galope-chopine hésita un instant à partir. L’indécision naturelle ou jouée d’un pauvre diable qui ne savait à qui obéir, trompait déjà Corentin, lorsque le Chouan, sur un geste impératif de la jeune fille, s’éloigna à pas pesants. En ce moment, mademoiselle de Verneuil et Corentin se contemplèrent en silence. Cette fois, les yeux limpides de Marie ne purent soutenir l’éclat du feu sec que distillait le regard de cet homme. L’air résolu avec le-