Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/290

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— Appelez le prêtre, dit-elle, et laissez-moi seule avec lui.

Ils se retirèrent.

— Mon père, dit-elle au prêtre qui apparut soudain devant elle, mon père, dans mon enfance, un vieillard à cheveux blancs, semblable à vous, me répétait souvent qu’avec une foi bien vive on obtenait tout de Dieu, est-ce vrai ?

— C’est vrai, répondit le prêtre. Tout est possible à celui qui a tout créé.

Mademoiselle de Verneuil se précipita à genoux avec un incroyable enthousiasme : — Ô mon Dieu ! dit-elle dans son extase, ma foi en toi est égale à mon amour pour lui ! inspire-moi ! Fais ici un miracle ou prends ma vie.

— Vous serez exaucée, dit le prêtre.

Mademoiselle de Verneuil vint s’offrir à tous les regards en s’appuyant sur le bras de ce vieux prêtre à cheveux blancs. Une émotion profonde et secrète la livrait à l’amour d’un amant, plus brillante qu’en aucun jour passé, car une sérénité pareille à celle que les peintres se plaisent à donner aux martyrs imprimait à sa figure un caractère imposant. Elle tendit la main au marquis, et ils s’avancèrent ensemble vers l’autel, où ils s’agenouillèrent. Ce mariage qui allait être béni à deux pas du lit nuptial, cet autel élevé à la hâte, cette croix, ces vases, ce calice apportés secrètement par un prêtre, cette fumée d’encens répandue sous des corniches qui n’avaient encore vu que la fumée des repas ; ce prêtre qui ne portait qu’une étole par-dessus sa soutane ; ces cierges dans un salon, tout formait une scène touchante et bizarre qui achève de peindre ces temps de triste mémoire où la discorde civile avait renversé les institutions les plus saintes. Les cérémonies religieuses avaient alors toute la grâce des mystères. Les enfants étaient ondoyés dans les chambres où gémissaient encore les mères. Comme autrefois, le Seigneur allait, simple et pauvre, consoler les mourants. Enfin les jeunes filles recevaient pour la première fois le pain sacré dans le lieu même où elles jouaient la veille. L’union du marquis et de mademoiselle de Verneuil allait être consacrée, comme tant d’autres unions, par un acte contraire à la législation nouvelle ; mais plus tard, ces mariages, bénis pour la plupart au pied des chênes, furent tous scrupuleusement reconnus. Le prêtre qui conservait ainsi les anciens usages jusqu’au dernier moment, était un de ces hommes fidèles à leurs principes au fort des orages. Sa voix, pure du ser-