Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/309

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— Eh ! bien, me dit-elle, j’ai lu votre plaidoyer en faveur des bêtes ; mais comment deux personnes si bien faites pour se comprendre ont-elles fini ?…

— Ah ! voilà !… Elles ont fini comme finissent toutes les grandes passions, par un mal-entendu ! On croit de part et d’autre à quelque trahison, l’on ne s’explique point par fierté, l’on se brouille par entêtement.

— Et quelquefois dans les plus beaux moments, dit-elle ; un regard, une exclamation suffisent. Eh ! bien, alors, achevez l’histoire ?

— C’est horriblement difficile, mais vous comprendrez ce que m’avait déjà confié le vieux grognard quand, en finissant sa bouteille de vin de Champagne, il s’est écrié : — Je ne sais pas quel mal je lui ai fait, mais elle se retourna comme si elle eût été enragée ; et, de ses dents aiguës, elle m’entama la cuisse, faiblement sans doute. Moi, croyant qu’elle voulait me dévorer, je lui plongeai mon poignard dans le cou. Elle roula en jetant un cri qui me glaça le cœur, je la vis se débattant en me regardant sans colère. J’aurais voulu pour tout au monde, pour ma croix, que je n’avais pas encore, la rendre à la vie. C’était comme si j’eusse assassiné une personne véritable. Et les soldats qui avaient vu mon drapeau, et qui accoururent à mon secours, me trouvèrent tout en larmes… — Eh ! bien, monsieur, reprit-il après un moment de silence, j’ai fait depuis la guerre en Allemagne, en Espagne, en Russie, en France ; j’ai bien promené mon cadavre, je n’ai rien vu de semblable au désert… Ah ! c’est que cela est bien beau. — Qu’y sentiez-vous ?… lui ai-je demandé. — Oh ! cela ne se dit pas, jeune homme. D’ailleurs je ne regrette pas toujours mon bouquet de palmiers et ma panthère… il faut que je sois triste pour cela. Dans le désert, voyez-vous, il y a tout, et il n’y a rien… — Mais encore expliquez-moi ? — Eh ! bien, reprit-il en laissant échapper un geste d’impatience, c’est Dieu sans les hommes......................

Paris, 1832.

fin du cinquième livre.