Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/329

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paysans renferme pour moi. Il y a dix ans, j’ai failli être lapidé dans ce village aujourd’hui désert, mais alors habité par trente familles.

Genestas mit une interrogation si visible dans l’air de sa physionomie et dans son geste, que le médecin lui raconta, tout en marchant, l’histoire annoncée par ce début.

— Monsieur, quand je vins m’établir ici, je trouvai dans cette partie du canton une douzaine de crétins, dit le médecin en se retournant pour montrer à l’officier les maisons ruinées. La situation de ce hameau dans un fond sans courant d’air, près du torrent dont l’eau provient des neiges fondues, privé des bienfaits du soleil, qui n’éclaire que le sommet de la montagne, tout y favorise la propagation de cette affreuse maladie. Les lois ne défendent pas l’accouplement de ces malheureux, protégés ici par une superstition dont la puissance m’était inconnue, que j’ai d’abord condamnée, puis admirée. Le crétinisme se serait donc étendu depuis cet endroit jusqu’à la vallée. N’était-ce pas rendre un grand service au pays que d’arrêter cette contagion physique et intellectuelle ? Malgré sa grave urgence, ce bienfait pouvait coûter la vie à celui qui entreprendrait de l’opérer. Ici, comme dans les autres sphères sociales, pour accomplir le bien, il fallait froisser, non pas des intérêts, mais, chose plus dangereuse à manier, des idées religieuses converties en superstition, la forme la plus indestructible des idées humaines. Je ne m’effrayai de rien. Je sollicitai d’abord la place de maire du canton, et l’obtins ; puis, après avoir reçu l’approbation verbale du préfet, je fis nuitamment transporter à prix d’argent quelques-unes de ces malheureuses créatures du côté d’Aiguebelle, en Savoie, où il s’en trouve beaucoup et où elles devaient être très-bien traitées. Aussitôt que cet acte d’humanité fut connu, je devins en horreur à toute la population. Le curé prêcha contre moi. Malgré mes efforts pour expliquer aux meilleures têtes du bourg combien était importante l’expulsion de ces crétins, malgré les soins gratuits que je rendais aux malades du pays, on me tira un coup de fusil au coin d’un bois. J’allai voir l’évêque de Grenoble et lui demandai le changement du curé. Monseigneur fut assez bon pour me permettre de choisir un prêtre qui pût s’associer à mes œuvres, et j’eus le bonheur de rencontrer un de ces êtres qui semblent tombés du ciel. Je poursuivis mon entreprise. Après avoir travaillé les esprits, je déportai nuitamment six autres crétins. À cette seconde tentative, j’eus pour défenseurs