Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/358

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mais encore un instrument propre à gouverner. La religion n’est-elle pas la seule puissance qui sanctionne les lois sociales ? Nous avons récemment justifié Dieu. En l’absence de la religion, le gouvernement fut forcé d’inventer LA TERREUR pour rendre ses lois exécutoires ; mais c’était une terreur humaine, elle a passé. Hé ! bien, monsieur, quand un paysan est malade, cloué sur un grabat ou convalescent, il est forcé d’écouter des raisonnements suivis, et il les comprend bien quand ils lui sont clairement présentés. Cette pensée m’a fait médecin. Je calculais avec mes paysans, pour eux ; je ne leur donnais que des conseils d’un effet certain qui les contraignaient à reconnaître la justesse de mes vues. Avec le peuple, il faut toujours être infaillible. L’infaillibilité a fait Napoléon, elle en eût fait un Dieu, si l’univers ne l’avait entendu tomber à Waterloo. Si Mahomet a créé une religion après avoir conquis un tiers du globe, c’est en dérobant au monde le spectacle de sa mort. Au maire de village et au conquérant, mêmes principes : la Nation et la Commune sont un même troupeau. Partout la masse est la même. Enfin, je me suis montré rigoureux avec ceux que j’obligeais de ma bourse. Sans cette fermeté, tous se seraient moqués de moi. Les paysans, aussi bien que les gens du monde, finissent par mésestimer l’homme qu’ils trompent. Être dupé, n’est-ce pas avoir fait un acte de faiblesse ? la force seule gouverne. Je n’ai jamais demandé un denier à personne pour mes soins, excepté à ceux qui sont visiblement riches ; mais je n’ai point laissé ignorer le prix de mes peines. Je ne fais point grâce des médicaments, à moins d’indigence chez le malade. Si mes paysans ne me paient pas, ils connaissent leurs dettes ; parfois ils apaisent leur conscience en m’apportant de l’avoine pour mes chevaux, du blé quand il n’est pas cher. Mais le meunier ne m’offrirait-il que des anguilles pour le prix de mes soins, je lui dirais encore qu’il est trop généreux pour si peu de chose ; ma politesse porte ses fruits : à l’hiver, j’obtiendrai de lui quelques sacs de farine pour les pauvres. Tenez, monsieur, ces gens-là ont du cœur quand on ne le leur flétrit pas. Aujourd’hui je pense plus de bien et moins de mal d’eux que par le passé.

— Vous vous êtes donné bien du mal ? dit Genestas.

— Moi, point, reprit Benassis. Il ne m’en coûtait pas plus de dire quelque chose d’utile que de dire des balivernes. En passant, en causant, en riant, je leur parlais d’eux-mêmes. D’abord ces gens