Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/380

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et que nous puissions les voir sans être vus, je vous donnerai le spectacle de cette scène. Mais nous voici près de la fosse, et je n’aperçois pas mon ami le pontonnier.

Le médecin et le commandant regardèrent attentivement autour d’eux, ils ne virent que la pelle, la pioche, la brouette, la veste militaire de Gondrin auprès d’un tas de boue noire ; mais nul vestige de l’homme dans les différents chemins pierreux par lesquels venaient les eaux, espèces de trous capricieux presque tous ombragés par de petits arbustes.

— Il ne peut être bien loin. Ohé ! Gondrin ! cria Benassis.

Genesias aperçut alors la fumée d’une pipe entre les feuillages d’un éboulis, et la montra du doigt au médecin qui répéta son cri. Bientôt le vieux pontonnier avança la tête, reconnut le maire et descendit par un petit sentier.

— Hé ! bien, mon vieux, lui cria Benassis en faisant une espèce de cornet acoustique avec la paume de sa main, voici un camarade, un Égyptien qui t’a voulu voir.

Gondrin leva promptement la tête vers Genestas et lui jeta ce coup d’œil profond et investigateur que les vieux soldats ont su se donner à force de mesurer promptement leurs dangers. Après avoir vu le ruban rouge du commandant, il porta silencieusement le revers de sa main à son front.

— Si le petit tondu vivait encore, lui cria l’officier, tu aurais la croix et une belle retraite, car tu as sauvé la vie à tous ceux qui portent des épaulettes et qui se sont trouvés de l’autre côté de la rivière le 1er octbre 1812 ; mais, mon ami, ajouta le commandant en mettant pied à terre et lui prenant la main avec une soudaine effusion de cœur, je ne suis pas ministre de la guerre.

En entendant ces paroles, le vieux pontonnier se dressa sur ses jambes après avoir soigneusement secoué les cendres de sa pipe et l’avoir serrée, puis il dit en penchant la tête : — Je n’ai fait que mon devoir, mon officier, mais les autres n’ont pas fait le leur à mon égard. Ils m’ont demandé mes papiers ! Mes papiers ?… leur ai-je dit, mais c’est le vingt-neuvième bulletin.

— Il faut réclamer de nouveau, mon camarade. Avec des protections il est impossible aujourd’hui que tu n’obtiennes pas justice.

— Justice ! cria le vieux pontonnier d’un ton qui fit tressaillir le médecin et le commandant.

Il y eut un moment de silence, pendant lequel les deux cava-