Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/382

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faire tout ce qui sera humainement possible d’entreprendre pour t’obtenir une pension, quand je devrais avaler dix refus de ministre, solliciter le roi, le dauphin et toute la boutique !

En entendant ces paroles, le vieux Gondrin tressaillit, regarda Genestas et lui dit : — Vous avez donc été simple soldat ?

Le commandant inclina la tête. À ce signe le pontonnier s’essuya la main, prit celle de Genestas, la lui serra par un mouvement plein d’âme, et lui dit : — Mon général, quand je me suis mis à l’eau là-bas, j’avais fait à l’armée l’aumône de ma vie, donc il y a eu du gain, puisque je suis encore sur mes ergots. Tenez, voulez-vous voir le fond du sac ? Eh ! bien, depuis que l’autre a été dégommé, je n’ai plus goût à rien. Enfin ils m’ont assigné ici, ajouta-t-il gaiement en montrant la terre, vingt mille francs à prendre, et je m’en paie en détail, comme dit c’t’autre !

— Allons, mon camarade, dit Genestas ému par la sublimité de ce pardon, tu auras du moins ici la seule chose que tu ne puisses pas m’empêcher de te donner.

Le commandant se frappa le cœur, regarda le pontonnier pendant un moment, remonta sur son cheval, et continua de marcher à côté de Benassis.

— De semblables cruautés administratives fomentent la guerre des pauvres contre les riches, dit le médecin. Les gens auxquels le pouvoir est momentanément confié n’ont jamais pensé sérieusement aux développements nécessaires d’une injustice commise envers un homme du peuple. Un pauvre, obligé de gagner son pain quotidien, ne lutte pas longtemps, il est vrai ; mais il parle, et trouve des échos dans tous les cœurs souffrants. Une seule iniquité se multiplie par le nombre de ceux qui se sentent frappés en elle. Ce levain fermente. Ce n’est rien encore. Il en résulte un plus grand mal. Ces injustices entretiennent chez le peuple une sourde haine envers les supériorités sociales. Le bourgeois devient et reste l’ennemi du pauvre, qui le met hors la loi, le trompe et le vole. Pour le pauvre, le vol n’est plus ni un délit, ni un crime, mais une vengeance. Si, quand il s’agit de rendre justice aux petits, un administrateur les maltraite et filoute leurs droits acquis, comment pouvons-nous exiger de malheureux sans pain résignation à leurs peines et respect aux propriétés ?… Je frémis en pensant qu’un garçon de bureau, de qui le service consiste à épousseter des papiers, a eu les mille francs de pension promis à Gondrin. Puis certaines