Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/401

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avec plaisir, exprime des idées neuves, originales. Incapable d’ailleurs de se livrer à aucune espèce de travail suivi : quand elle allait aux champs elle demeurait pendant des heures entières occupée à regarder une fleur, à voir couler l’eau, à examiner les pittoresques merveilles qui se trouvent sous les ruisseaux clairs et tranquilles, ces jolies mosaïques composées de cailloux, de terre, de sable, de plantes aquatiques, de mousse, de sédiments bruns dont les couleurs sont si douces, dont les tons offrent de si curieux contrastes. Lorsque je suis venu dans ce pays, la pauvre fille mourait de faim ; humiliée d’accepter le pain d’autrui, elle n’avait recours à la charité publique qu’au moment où elle y était contrainte par une extrême souffrance. Souvent sa honte lui donnait de l’énergie, pendant quelques jours elle travaillait à la terre ; mais bientôt épuisée, une maladie la forçait d’abandonner son ouvrage commencé. À peine rétablie, elle entrait dans quelque ferme aux environs en demandant à y prendre soin des bestiaux ; mais après s’y être acquittée de ses fonctions avec intelligence, elle en sortait sans dire pourquoi. Son labeur journalier était sans doute un joug trop pesant pour elle, qui est toute indépendance et tout caprice. Elle se mettait alors à chercher des truffes ou des champignons, et les allait vendre à Grenoble. En ville, tentée par des babioles, elle oubliait sa misère en se trouvant riche de quelques menues pièces de monnaie, et s’achetait des rubans, des colifichets, sans penser à son pain du lendemain. Puis si quelque fille du bourg désirait sa croix de cuivre, son cœur à la Jeannette ou son cordon de velours, elle les lui donnait, heureuse de lui faire plaisir, car elle vit par le cœur. Aussi la Fosseuse était-elle tour à tour aimée, plainte, méprisée. La pauvre fille souffrait de tout, de sa paresse, de sa bonté, de sa coquetterie ; car elle est coquette, friande, curieuse ; enfin elle est femme, elle se laisse aller à ses impressions et à ses goûts avec une naïveté d’enfant : racontez-lui quelque belle action, elle tressaille et rougit, son sein palpite, elle pleure de joie, si vous lui dites une histoire de voleurs, elle pâlira d’effroi. C’est la nature la plus vraie, le cœur le plus franc et la probité la plus délicate qui se puissent rencontrer ; si vous lui confiez cent pièces d’or, elle vous les enterrera dans un coin et continuera de mendier son pain.

La voix de Benassis s’altéra quand il dit ces paroles.

— J’ai voulu l’éprouver, monsieur, reprit-il, et je m’en suis re-