Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/411

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— Dieu est grand ! dit le militaire en s’arrêtant au milieu de ce chemin dont il n’apercevait ni la fin ni le commencement.

— Vous me faites du bien, s’écria Benassis. J’ai du plaisir à vous entendre répéter ce que je dis souvent au milieu de cette avenue. Il se trouve, certes, ici quelque chose de religieux. Nous y sommes comme deux points, et le sentiment de notre petitesse nous ramène toujours devant Dieu.

Ils allèrent alors lentement et en silence, écoutant le pas de leurs chevaux qui résonnait dans cette galerie de verdure, comme s’ils eussent été sous les voûtes d’une cathédrale.

— Combien d’émotions dont ne se doutent pas les gens de la ville ! dit le médecin. Sentez-vous les parfums exhalés par la propolis des peupliers et par les sueurs du mélèze ? Quelles délices !

— Écoutez, s’écria Genestas, arrêtons-nous.

Ils entendirent alors un chant dans le lointain.

— Est-ce une femme ou un homme, est-ce un oiseau ? demanda tout bas le commandant. Est-ce la voix de ce grand paysage ?

— Il y a de tout cela, répondit le médecin en descendant de son cheval et en l’attachant à une branche de peuplier.

Puis il fit signe à l’officier de l’imiter et de le suivre. Ils allèrent à pas lents le long d’un sentier bordé de deux haies d’épine blanche en fleur qui répandaient de pénétrantes odeurs dans l’humide atmosphère du soir. Les rayons du soleil entraient dans le sentier avec une sorte d’impétuosité que l’ombre projetée par le long rideau de peupliers rendait encore plus sensible, et ces vigoureux jets de lumière enveloppaient de leurs teintes rouges une chaumière située au bout de ce chemin sablonneux. Une poussière d’or semblait être jetée sur son toit de chaume, ordinairement brun comme la coque d’une châtaigne, et dont les crêtes délabrées étaient verdies par des joubarbes et de la mousse. La chaumière se voyait à peine dans ce brouillard de lumière ; mais les vieux murs, la porte, tout y avait un éclat fugitif, tout en était fortuitement beau, comme l’est par moments une figure humaine, sous l’empire de quelque passion qui l’échauffe et la colore. Il se rencontre dans la vie en plein air de ces suavités champêtres et passagères qui nous arrachent le souhait de l’apôtre disant à Jésus-Christ sur la montagne : Dressons une tente et restons ici. Ce paysage semblait avoir en ce moment une voix pure et douce autant qu’il était pur et doux, mais une voix triste comme la lueur près de finir à l’occident ; vague image de