Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/45

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grasses auraient difficilement tenu. L’exiguïté de cette frêle machine ne permettant pas de la charger beaucoup, et le coffre qui formait le siège étant exclusivement réservé au service de la poste, si les voyageurs avaient quelque bagage, ils étaient obligés de le garder entre leurs jambes déjà torturées dans une petite caisse que sa forme faisait assez ressembler à un soufflet. Sa couleur primitive et celle des roues fournissait aux voyageurs une insoluble énigme. Deux rideaux de cuir, peu maniables malgré de longs service, devaient protéger les patients contre le froid et la pluie. Le conducteur, assis sur une banquette semblable à celle des plus mauvais coucous parisiens, participait forcément à la conversation par la manière dont il était placé entre ses victimes bipèdes et quadrupèdes. Cet équipage offrait de fantastiques similitudes avec ces vieillards décrépits qui ont essuyé bon nombre de catarrhes, d’apoplexies, et que la mort semble respecter, il geignait en marchant, il criait par moments. Semblable à un voyageur pris par un lourd sommeil, il se penchait alternativement en arrière et en avant, comme s’il eût essayé de résister à l’action violente de deux petits chevaux bretons qui le traînaient sur une route passablement raboteuse. Ce monument d’un autre âge contenait trois voyageurs qui, à la sortie d’Ernée, où l’on avait relayé, continuèrent avec le conducteur une conversation entamée avant le relais.

— Comment voulez-vous que les Chouans se soient montrés par ici ? disait le conducteur. Ceux d’Ernée viennent de me dire que le commandant Hulot n’a pas encore quitté Fougères.

— Oh ! oh ! l’ami, lui répondit le moins âgé des voyageurs, tu ne risques que ta carcasse ! Si tu avais, comme moi, trois cents écus sur toi, et que tu fusses connu pour être un bon patriote, tu ne serais pas si tranquille.

— Vous êtes en tout cas bien bavard, répondit le conducteur en hochant la tête.

— Brebis comptées, le loup les mange, reprit le second personnage.

Ce dernier, vêtu de noir, paraissait avoir une quarantaine d’années et devait être quelque recteur des environs. Son menton s’appuyait sur un double étage, et son teint fleuri devait appartenir à l’ordre ecclésiastique. Quoique gros et court, il déployait une certaine agilité chaque fois qu’il fallait descendre de voiture ou y remonter.