Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/461

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gens, qui n’en sortent jamais sans de vives émotions contre lesquelles ils luttent presque toujours infructueusement ; aussi la société, les lois me semblent-elles complices des désordres qu’ils commettent alors. Notre législation a pour ainsi dire fermé les yeux sur les passions qui tourmentent le jeune homme entre vingt et vingt-cinq ans ; à Paris tout l’assaille, ses appétits y sont incessamment sollicités, la religion lui prêche le bien, les lois le lui commandent ; tandis que les choses et les mœurs l’invitent au mal : le plus honnête homme ou la plus pieuse femme ne s’y moquent-ils pas de la continence ? Enfin cette grande ville paraît avoir pris à tâche de n’encourager que les vices, car les obstacles qui défendent l’abord des états dans lesquels un jeune homme pourrait honorablement faire fortune, sont plus nombreux encore que les piéges incessamment tendus à ses passions pour lui dérober son argent. J’allai donc pendant long-temps, tous les soirs, à quelque théâtre, et contractai peu à peu des habitudes de paresse. Je transigeais en moi-même avec mes devoirs, souvent je remettais au lendemain mes plus pressantes occupations ; bientôt, au lieu de chercher à m’instruire, je ne fis plus que les travaux strictement nécessaires pour arriver aux grades par lesquels il faut passer avant d’être docteur. Aux Cours publics, je n’écoutais plus les professeurs, qui, selon moi, radotaient. Je brisais déjà mes idoles, je devenais Parisien. Bref, je menai la vie incertaine d’un jeune homme de province qui, jeté dans la capitale, garde encore quelques sentiments vrais, croit encore à certaines règles de morale, mais qui se corrompt par les mauvais exemples, tout en voulant s’en défendre. Je me défendis mal, j’avais des complices en moi-même. Oui, monsieur, ma physionomie n’est pas trompeuse, j’ai eu toutes les passions dont les empreintes me sont restées. Je conservai cependant au fond de mon cœur un sentiment de perfection morale qui me poursuivit au milieu de mes désordres, et qui devait ramener un jour à Dieu, par la lassitude et par le remords, l’homme dont la jeunesse s’était désaltérée dans les eaux pures de la Religion. Celui qui sent vivement les voluptés de la terre n’est-il pas tôt ou tard attiré par le goût des fruits du ciel ? J’eus d’abord les mille félicités et les mille désespérances qui se rencontrent plus ou moins actives dans toutes les jeunesses : tantôt je prenais le sentiment de ma force pour une volonté ferme, et m’abusais sur l’étendue de mes facultés ; tantôt, à l’aperçu du plus faible écueil