Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/469

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se cachait la misère de cette femme peignait les angoisses de sa vie : elle m’en épargna la honte en m’en parlant avec une noble réserve, lorsque j’eus solennellement promis d’adopter notre enfant. Cette femme mourut, monsieur, malgré les soins que je lui prodiguai, malgré toutes les ressources de la science vainement invoquée. Ces soins, ce dévouement tardif, ne servirent qu’à rendre ses derniers moments moins amers. Elle avait constamment travaillé pour élever, pour nourrir son enfant. Le sentiment maternel avait pu la soutenir contre le malheur, mais non contre le plus vif de ses chagrins, mon abandon. Cent fois elle avait voulu tenter une démarche près de moi, cent fois sa fierté de femme l’avait arrêtée ; elle se contentait de pleurer sans me maudire, en pensant que, de cet or répandu à flots pour mes caprices, pas une goutte détournée par un souvenir ne tombait dans son pauvre ménage pour aider à la vie d’une mère et de son enfant. Cette grande infortune lui avait semblé la punition naturelle de sa faute. Secondée par un bon prêtre de Saint-Sulpice, dont la voix indulgente lui avait rendu le calme, elle était venue essuyer ses larmes à l’ombre des autels et y chercher des espérances. L’amertume versée à flots par moi dans son cœur s’était insensiblement adoucie. Un jour, ayant entendu son fils disant : Mon père ! mots qu’elle ne lui avait pas appris, elle me pardonna mon crime. Mais dans les larmes et les douleurs, dans les travaux journaliers et nocturnes, sa santé s’était affaiblie. La religion lui apporta trop tard ses consolations et le courage de supporter les maux de la vie. Elle était atteinte d’une maladie au cœur, causée par ses angoisses, par l’attente perpétuelle de mon retour, espoir toujours renaissant, quoique toujours trompé. Enfin, se voyant au plus mal, elle m’avait écrit de son lit de mort ce peu de mots exempts de reproches et dictés par la religion, mais aussi par sa croyance en ma bonté. Elle me savait, disait-elle, plus aveuglé que perverti ; elle alla jusqu’à s’accuser d’avoir porté trop loin sa fierté de femme. « Si j’eusse écrit plus tôt, me dit-elle, peut-être aurions-nous eu le temps de légitimer notre enfant par un mariage. » Elle ne souhaitait ces liens que pour son fils, et ne les eût pas réclamés si elle ne les avait sentis déjà dénoués par la mort. Mais il n’était plus temps, elle n’avait alors que peu d’heures à vivre. Monsieur, près de ce lit où j’appris à connaître le prix d’un cœur dévoué, je changeai de sentiments pour toujours. J’étais dans l’âge où les yeux ont encore des larmes. Pendant les derniers jours